Cahier des charges
de Laurence Boissier

critiqué par JPGP, le 23 décembre 2022
( - 77 ans)


La note:  étoiles
Laurence Boissier : obscurs objets du désir
Des pulsions décoratrices mais surtout animales de « Mme B. » aux pages « effacées » de « Diligo » en passant par les quinze textes de « Cahier des charges » Laurence Boissier distille des textes aussi iconoclastes que délicieusement érotiques. Sortie de la Haute école d'art et de design de Genève l’artiste y a appris bien des techniques plus ou moins équivoques - dont celle d’un moulage et d’un démoulage qui tourne en orgie. Mais ce n’est pas le seul lieu où tout se dérègle. Une « simple » visite chez le dentiste peut tout autant provoquer des extractions ou des implants inattendus. Existe là tout un jeu, une parodie. Et il n’est pas jusqu’à la statistique à offrir des digressions intempestives…

Le tout au nom du seul (ou presque) désir habilement scénarisé en mots et espaces. La libido devient un langage, une énergie créatrice. Elle s’incarne, s’ébroue sous forme de « signes » sans normativité. Ce qui n’exclut pas - au contraire - une technique certaine dans le processus de création. Avec Laurence Boissier la « parole imageante » de l’inconscient sort de la seule énonciation du discours artistique ou littéraire. L’auteure ne cache pas la jouissance : elle la déploie. Elle n’est donc jamais hallucinatoire puisqu’elle est projetée dans la textualité donc en une forme de réalité…. Le tout en une vigilance qui est un sommeil paradoxal où le fantasme est assumé.

Dès lors ce que les psychanalystes nommèrent la castration n’existe plus. Le langage et la mise en espace deviennent hédonistes plus que traumatiques. Ils sont des reconquêtes. La fonction expressive (mais tout autant impressive) du langage surplombe le mystère du désir. Elle en découpe des détails. Elle indique que celui-là est certes indexé sur la fantasmagorie mais la dépasse en l’exposant. L’ordre en tant que plaisir de la raison et le désordre en tant qu’orgasme de l’imagination perdent leur fléchage habituel. Les livres de l’auteure deviennent des points de passage dans des superpositions et des intermittences. Ils s’érigent en une sublimation des interdits. Laurence Boissier ne cesse d’en faire l’éloge en ses zones de transgression et leurs gains de folie.

Jean-Paul Gavard-Perret