Le livre des anges / La Nuit spirituelle / Carnet d’une allumeuse
de Lydie Dattas

critiqué par Septularisen, le 15 septembre 2023
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
«Et mes yeux détachaient une à une leurs larmes.»
«L’aurore»
(poème du «Livre des anges»)

Je t’aime d’un amour qui n’aime que l’aurore:
la beauté de l’aurore a fait pâlir l’amour.
L’aurore était si pure que j’ai renié l’amour
quand l’aurore est montée à l’assaut de mon cœur.
Que m’importe l’amour puisque m’aime l’aurore,
la beauté de l’aurore dépasse la beauté.
L’aurore était si belle que j’ai aimé la mort.
Beaux jours vous m’arrachez des bras de mon amour

En prolégomènes de cette recension du livre de Mme. Lydie DATTAS (*1949), précisons que je ne parlerai pas du recueil: «La nuit spirituelle», puisque… j’ai déjà fait mon «travail», et c’est donc à vous, lecteurs de mes recensions, de faire un petit effort de lecture… Il ne vous reste en effet qu’à me lire, puisque «La nuit spirituelle» est… ici : https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/51787.

«Le livre des anges» peut être considéré comme une œuvre de jeunesse, bien que paru en… 2003! En fait, les premiers poèmes de ce livre sont parus en 1966, Lydie DATTAS a alors dix-sept ans. Les poèmes sont ensuite publiés en plaquettes en 1990, 1994 et 1998. C’est un recueil d’une grande puissance lyrique, empli de mysticisme, de sensualité et de féminité. Mme. DATTAS nous parle d’une jeune fille (on comprend très vite qu’il s’agit d’elle…) dont la beauté est stupéfiante, et qui attire le regard des hommes…
Les poèmes se ressemblent beaucoup, les thèmes récurrents sont : La beauté, la solitude, la rose, la neige, Dieu, la jeunesse, la nuit, les anges, l’âme, l’aurore, les lilas, la mort, les étoiles, le lys, la souffrance…

«Jour et nuit»
(poème du «Livre des anges»)

Ma jeunesse a été si absolument pure :
j’ai traversé la nuit sans craindre de mourir,
j’ai marché dans la nuit sans douter de l’aurore
lorsque la nuit doutait de ses propres étoiles.
J’ai marché dans la nuit comme au milieu du jour :
le ciel était couvert entièrement d’étoiles,
les étoiles éclairaient autant que le soleil,
ce terrible soleil qui éclaire la nuit.
La nuit me consacrait ses heures les plus belles,
la nuit avait pour moi la beauté de l’azur,
je buvais la rosée dans la coupe des roses,
les étoiles étaient aussi jeunes que moi.
Je craignais la beauté plus que ma propre mort,
La nuit jalousait la pureté de l’âme :
la neige me devait en partie sa beauté,
la neige qui laissait sa beauté dans mon âme.

«Carnet d’une allumeuse» est par contre le livre de la «maturité», puisque écrit en 2017 alors que Lydie DATTAS a 69 ans. C’est une vision singulière du féminisme actuel qui, d’après Mme DATTAS, sous-estime le génie féminin et s’appuie sur des valeurs masculines. Il donne à voir ce qu’on ne voit jamais : une jeune fille se défaisant de son enfance, pour devenir une femme aux yeux des hommes. Une femme que toutes les filles jalousent pour sa beauté. Ce sont ses pensées de femmes de tous les jours, transposées en poèmes en prose, d’une densité étonnante, et chaque phrase mérite d’être relue de nombreuses fois…

«Azur sexuel»
(Extrait du «Carnet d’une allumeuse»)

À quinze ans, j’attrapai mon imperméable au loquet de sécurité de la grande roue. Un forain dégagea mes jambes de tubulures d’acier.
J’avais un bonbon dans la bouche quand la vérité me requit.
Glissant accidentellement dans le sien à une profondeur démente, mon regard le brûla. J’étais une enfant, lui, un homme mûr – désormais à mes pieds.
Dans cette foire où la jeunesse buvait le ciel à l’envers, j’entrevis mon pouvoir. Entre les torches du sucre rose, mes pieds posés sur la plaque tectonique du monde, je sentis vibrer chaque atome de la vie. La courbure du monde était à sa limite.
Sous le ciel détonnant de bleu, debout au centre des manèges aux miroirs taillés, je sus que tout l’Univers, avec ses milliards de soleils, tournait autour de moi !
J’étais cet abîme au bord de quoi les hommes vacillent.
Le terrible rôle commençait.
L’homme était une poudrière que le détonateur du regard pouvait faire sauter. À chaque fillette était donné le pouvoir de détruire l’Univers. Comment n’en eût-elle pas abusé ? Qu’un tyran tombe sous son charme, c’était l’assurance de voir la tête du Baptiste sur un plateau.
Au même instant, sur tout le globe, des millions d’adolescentes jouissaient du même triomphe cruel – mais j’étais seule à le penser!

Je finis émerveillé par la poésie de Mme. Lydie DATTAS, on a l’impression qu’elle trouve toujours le mot juste pour faire passer l’émotion qu’elle ressent, ou plutôt qu’elle veut nous faire ressentir… Le sens de ce qu’elle veut nous faire passer se livre progressivement, presque par inadvertance. Il ne faut pas hésiter à «chercher», à relire, parfois plusieurs fois, à fouiller, à creuser, à se questionner… C’est tout, sauf une poésie facile!.. Mais quel plaisir de lecture, on en redemande!..

Ne vous y trompez toutefois pas, lire un poème de Lydie DATTAS, c’est lire l'une des plus grandes poétesses française contemporaines!..

Pour finir laissons, comme toujours, la place à la poésie…

«La douceur m’a forcée»
(poème du «Livre des anges»)

La douceur m’a forcée à aimer la beauté,
la terrible beauté que chérissent les anges
et cette nuit présente au fond de la beauté.
La nuit reconnaissait à peine mon visage,
les lilas blanc avait la couleur de la nuit
lorsque la vérité a remarqué mon cœur.
La beauté me pressait de lui appartenir :
mon âme résistait de toute sa douceur.
La beauté de la nuit épaulait mon chagrin,
les étoiles souffraient en même temps que moi.
Ma souffrance attirait le vrai regard de Dieu,
ce dieu qui m’a aimée si cruellement fort.
Le malheur éclairait entièrement mon cœur
lorsque mon âme enfin a vu venir le jour.
La nuit si purement s’est retirée de moi :
les anges ont changé ma tristesse en bonheur
et j’ai été heureuse en dépit du malheur.
Rose de presque personne : Lydie Dattas 7 étoiles

Fille du musi­cien Jean Dat­tas, orga­niste de Notre-Dame de Paris, Lydiee écrit très tôt des poèmes et connaît sa pre­mière publi­ca­tion à 20 ans au Mer­cure de France. Libre. Mais elle avance sou­vent où elle n’est pas atten­due.

A 23 ans, elle épouse Alexandre Bou­glione, se lie d’amitié avec Jean Genet, ren­contre Jean Gros­jean qui pré­fa­cera son livre majeur Le livre des anges, cor­res­pond avec Ernst Jün­ger, avant de par­ta­ger le che­min de Chris­tian Bobin.

Celle qui navigue entre mys­ti­cisme, sen­sua­lité et fémi­nité assumée, reven­dique la puis­sance du cœur face au pres­tige de l’intelligence. Elle laisse libre cours à son aven­ture exis­ten­tielle et reven­dique la force créa­trice de la femme Manière de dénoncer tout ce qui la nie en l’enferme dans le sta­tut d’objet de séduc­tion et de plaisir.

Lucide, elle sait que l’amour est men­teur parce que l’homme est un pré­da­teur qui feint de lais­ser la main à sa par­te­naire. Mais Lydie Dat­tas sait de quoi il retourne si souvent..

JPGP - - 77 ans - 14 décembre 2022