La chair déchirée d'une petite griotte noire
de Pascal Vrebos

critiqué par Débézed, le 8 décembre 2022
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Violences faites aux femmes
Pour écrire ce texte qu’il présente comme un roman même s’il est écrit tantôt en prose tantôt en vers, Pascal Vrebos s‘est inspiré d’un fait réel, le viol horrible – tout viol est horrible mais celui-là l’est particulièrement car il a été d’une violence et d’une sauvagerie extrême – subi par une jeune Congolaise venue en Europe pour poursuivre ses études. Dans son « avant-lire » Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix, écrit : « Dans cette œuvre forte et poétique au langage dru et flambant, Mariama nous fait vivre la douleur du corps, la dévastation de l’esprit, mais aussi la reconstruction réussie d’un carnage ».

Pascal Vrebos confie sa plume à Mariama afin qu’elle raconte cette terrible histoire, elle est venue en Europe pour suivre les études ce que son père n’a jamais eu le loisir de faire malgré un très fort désir. Elle prévient les lecteurs, le récit est d’une rare violence. « J’ai trempé ma plume dans mon sang ». Elle raconte d’abord son enfance en Afrique où son grand-père était le griot du village, il l’avait prévenue : « Méfie-toi des Blancs, même les bons Blancs, les maîtres faut s’en méfier, surtout vous, les femmes, ne jamais croire ce qu’ils disent après avoir bu ! ». Ces mots, il les rapporte souvent, chaque fois qu’il sent sa petite-fille en danger…

Elle interroge les hommes, les bouscule jusque dans leur bonne conscience trop confortable. Même si « Personne ne comprend. / Surtout les hommes. … », elle veut raconter l’horreur. Et, elle raconte comment un soir, elle se promène le long d’un parc quand soudain ils sont là, elle ne sait pas combien mais ils sont nombreux et elle devient la proie de cette horde, de ces prédateurs, de ces loups affamés de sexe. Et, ils l’ont déchirée, broyée, poignardée, trouée, écartelée, ligotée, elle n’était plus que « …viande hachée déchirée défoncée émiettée pulvérisée… ». Cette histoire elle la raconte parallèlement à une histoire rapportée par son grand-père qui évoque l’histoire d’un chef qui cherche une nouvelle femme qui sera, elle, trahie par la première épouse remplie de jalousie.

Dans une avalanche de qualificatifs, elle essaie de décrire ce qu’il est resté de son corps après cette foudroyante agression. Et, après l’agression, il y a les séquelles nombreuses, douloureuses, stigmatisantes, déstabilisantes, traumatisantes, … Et, il y a la reconstruction impossible mais possible tout de même car il n’y a pas que des loups, il y aussi des anges, ils veillent sur elle avec patience et persévérance pour l’aider à se reconstruire pour qu’elle redevienne une vraie femme capable d’aimer.

Ce texte est court mais d’une puissance incroyable, c’est une avalanche de mots, une énumération de mots, pour dire la douleur et les blessures, la stigmatisation, le racisme et les violences faites aux femmes. C’est un plaidoyer bouleversant contre tous ceux qui commettent de tels actes, ne les voient pas, ne les condamnent pas, font semblant de ne pas voir… Juste pour donner une idée du texte, je voudrais citer ce passage : « En moi plus de trous / plus rien senti / plus de viande / plus rien / plus rien senti / crucifiée / ont recommencé / plus rien senti / plus rien entendu / plus rien vu / crucifiée / morte / oui morte / ont cru que j’étais morte / … ».

Ce livre, c’est un cri de rage, de douleur, d’impuissance, de révolte… mais c’est aussi un acte de résilience et d’espoir car il n’y a pas que des loups en notre monde, il a y aussi des anges.