Très chers élus - 40 ans de financement politique
de Elodie Gueguen (Scénario), Sylvain Tronchet (Dessin), Erwann Terrier (Couleurs)

critiqué par Blue Boy, le 5 novembre 2022
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Transparence, vous avez dit transparence ?
Où les partis trouvent-ils l’argent qui sert à financer leurs campagnes ? Comment sont utilisées les généreuses indemnités dont bénéficient nos députés ? A quoi servent les Universités d’été et les « formations », et qui les financent ? L’argent public est-il bien utilisé ? Pour apporter une réponse à ces questions, deux journalistes de la cellule investigation de Radio France, Elodie Guéguen et Sylvain Tronchet, nous livrent une enquête fouillée et limpide, complétée par une rencontre captivante avec un connaisseur anonyme des tambouilles politiques des partis, et servie par le dessin hilarant d’Erwann Terrier.

Voilà bien une BD d’enquête politique comme on les aime ! Publié conjointement par Delcourt et l’excellente Revue dessinée, « Très chers élus » est le fruit d’un travail méticuleux. Le duo de journalistes s’est appuyé sur des archives diverses (de presse, audiovisuelles ou institutionnelles), des dossiers judiciaires rendus publics et des interviews. Le résultat est un ouvrage salutaire et indispensable, de nature à faire avancer le schmilblick politique et peut-être réduire un tant soit peu le taux d’abstention qui en France ne cesse de croître d’élection en élection…

Une fois passée la courte et édifiante introduction montrant Macron implorant la larme à l’œil un parterre de financiers pour l’aider à financer sa campagne de 2017, tout commence un peu à la manière d’un film d’espionnage, avec la rencontre « incognito » des deux journalistes avec un mystérieux Monsieur X, imper, chapeau, écharpe et lunettes rouges, dont on saura seulement qu’il a « tout vu de l’arrière-boutique des partis sous la Ve République ». Des valises de billets aux origines douteuses, des fonds spéciaux Matignon ou de la Françafrique, l’homme, dont la fonction lui a permis de côtoyer les hautes sphères, semble en connaître un rayon sur la question sulfureuse du financement des partis politiques ! Et aucun n’y échappe, y compris Jean-Luc Mélenchon…

En résumé, l’ouvrage nous remet en mémoire des affaires qui ont fait la Une ces dernières décennies, notamment les fraudes dans le financement des campagnes de Chirac et Balladur en 1995, à coup de mallettes et autres rétrocommissions (remember Karachi ?). Mais le champion toutes catégories, nous rappelle-t-on, reste Sarkozy, qui avait dépensé en 2012 deux fois plus que la limite autorisée (Bygmalion, ça vous parle ?). Sans parler des factures étrangement gonflées. Tout cela ne serait « rien » si les frais de campagne n’étaient pas remboursés par l’Etat = nos impôts.

Cette enquête nous livre également quelques éléments éclairants sur la vie politique :
- Les « formations » plus ou moins bidon, en marge des universités politiques (les fameuses universités d’été notamment !) sont entièrement prises en charge par les collectivités locales = nos impôts.
- Les micro-partis qui fleurissent avant chaque campagne ne servent qu’à permettre la multiplicité des sources de financement, les donateurs étant bien sûr remboursés, quelque soit le montant engagé (ce qui évidemment profite beaucoup aux plus riches qui ne savent pas toujours quoi faire de leur argent), dans le cadre des réductions d’impôts = nos impôts.

Le livre reviendra également sur les frais de mandat dont certains ont profité abusivement jusqu’à gratter le moindre centime, et dont découlent bien souvent les fameux emplois fictifs ou familiaux (cf. le « Penelopegate ») = nos impôts.

S’il pourra conforter un moment ceux qui aiment à rabâcher à l’envi l’argument du « tous pourris », cet ouvrage, qui ne tombe pas dans ce piège démagogique, tempérera bien vite leur ardeur à casser systématiquement du politique. De plus, ceux qui sont tentés par les votes extrêmes pour mieux clamer leur ras-le-bol réaliseront que le RN (ex-FN) est loin d’avoir les mains aussi propres qu’il le prétend. Bien sûr, tout ça n’est pas très glorieux pour notre République, mais les auteurs insistent sur le fait que si ces malversations concernent tous les partis, elles n’impliquent pas pour autant individuellement la majorité des hommes et femmes politiques. L’espoir est donc permis, même si la tâche est ardue et que les institutions ont tendance à privilégier une certaine opacité ! Mais d’année en année l’étau se resserre, souvent plus lentement que dans d’autres pays voisins plus pragmatiques (c’est ça la France !), à chaque fois en réponse à la magouille. Des fraudes autrefois tolérées sont de plus en plus remises en cause par la justice… quand bien sûr on lui donne les moyens de faire son travail (Monsieur Macron, un avis ?).

« Très chers élus » prouve tout son intérêt en ne se contentant pas de dénoncer mais en fournissant la piste à suivre pour atteindre cette transparence qui semble toujours un peu utopique dans l’Hexagone. Et cette piste nous vient des Britanniques, eux aussi confrontés à ce type d’affaires, lesquels ont mis à disposition du citoyen un site où il est possible de consulter les notes de frais de chaque député.

Indéniablement, la trame narrative est très maligne. Plutôt que d’aligner faits et assertions de manière linéaire et fastidieuse, les auteurs, en s’adjoignant les services d’Erwann Terrier, ont su parfaitement utiliser les codes et atouts de la bande dessinée pour embarquer le lecteur, y compris le plus récalcitrant (« Moué… Encore une BD politique chiante par des journalistes à la botte des « merdias » ? »). Ainsi, Elodie Guéguen et Sylvain Tronchet nous livrent une enquête claire et passionnante qui, loin de vous donner des maux de tête, fonctionne en grande partie grâce à son schéma ternaire : d’un côté les deux journalistes qui remplissent leur mission en restant à la fois factuels et « candides », d’un autre ce Monsieur X, qui balance ses infos tout en se faisant paradoxalement l’avocat du diable (et qui parfois s’agace des propos de ses interlocuteurs), et enfin du troisième, le dessinateur Erwann Terrier dont l’excellent trait réaliste effleure subtilement la caricature et répond aux textes avec une causticité jubilatoire – certains portraits peuvent même déclencher des fous-rires incontrôlés ! Un ouvrage chaudement recommandé !