La porte de l'univers
de Daniel Goossens

critiqué par Blue Boy, le 23 septembre 2022
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Gags en pénurie
Robert Cognard, humoriste en fin de carrière, n’a plus la cote avec son humour en mode « coussin péteur ». En effet, le public ne rit plus des mêmes choses aujourd’hui qu’hier. Son boss (oui, parce que dans le monde de Goossens, Robert Cognard est un salarié comme un autre !) tente progressivement de le pousser vers la sortie et ses collègues se détournent de lui. Pourtant, Robert ne veut pas s’avouer vaincu et va se lancer dans une quête, plus absurde que rationnelle, pour tenter de reprendre la main et reconquérir son public. Une quête qui le mènera vers des sphères… haut perchées !

Fidèle de longue date de l’école Fluide Glacial, Daniel Goossens, loin d’être mort, comme le fait si bien remarquer Edouard Baer en préface, est de la trempe de Jacques Tati ou Raymond Devos. Goossens est effectivement un « génie », et Baer possède la crédibilité suffisante pour l’affirmer ! En revanche, le protagoniste principal de « La Porte de l’univers », Robert Cognard, est adepte, lui, de la blague à tonton, celle qui a fait – et fait peut-être encore, sait-on jamais - les beaux jours des repas de mariage et autres banquets. Robert Cognard pourrait très bien être le versant gras de Daniel Goossens, le type qui vous fout un peu la honte en public avec ses blagues éculées.

Force est de constater que cet album déçoit. Le problème vient en grande partie de ce nouveau personnage qu’est Robert Cognard, qui à la base n’est pas vraiment drôle. Ce n’est tant par ses plaisanteries navrantes sur lesquelles Gossens joue en toute connaissance de cause, mais cela serait plutôt dû au fait que ce dernier ne semble pas réussir à les transcender, comme si son humour à lui ne pouvait s’accommoder d’un humour pompier (pipi caca compris), comme s’il avait tenté de marier la carpe et le lapin, évidemment sans y parvenir, si doué soit-il. Un peu comme si Devos faisait un sketch avec Jean Roucas, comme si « la 7e Compagnie au clair de lune » déboulait dans une scène de « Mon Oncle ». Et même si le dessin de Goossens est toujours réjouissant avec ses personnages aux expressions hilarantes, cela ne suffit pas à compenser l’absence de drôlerie qui caractérise cet album. À ce nouveau personnage agité et stressé qu’est Robert Cognard, on préférait largement le flegme de Robert et les extravagances de Louis (qui fait une apparition discrète ici), ou encore les bébés désopilants de sa fameuse « Encyclopédie »…

La partie la plus digne d’intérêt de « La Porte de l’univers » reste encore la postface dans laquelle l’auteur nous expose une mini-thèse sur l’humour et sa fonction, d’une façon assez pénétrante, ce qui ne surprend pas de la part du chercheur en intelligence artificielle qu’est Goossens ! D’ailleurs on ne l’avait jamais vu aussi sérieux ! Il y explique également que « Cognard est un révolté qui veut dénoncer la bêtise et la médiocrité, dans une totale incompréhension du réel ». Ce qui, il faut bien l’avouer, ne saute pas aux yeux à la première lecture. On peut en réalité se demander si cette postface ne sert pas à compenser les doutes de l’auteur quant à la pertinence de son personnage. N’est-ce pas quand on cherche à expliquer son humour que l’on est le moins drôle ? Les questionnements de Cognard dans le chapitre final où il lance cette injonction à la face du Grand Barbu (« Envoyez-moi de l’inspiration, bon sang ! ») ne seraient-ils pas les siens ? Cognard se ne se révélerait-il pas le double angoissé et « maléfique » de son créateur, confronté à l’angoisse de la page blanche ? Pour un peu, on serait tentés de croire que le maître de « l’Umour en bandessinées » traverse lui-même une profonde phase de remise en cause...
Celui-ci approchant désormais le cap des 70 ans, ça ne paraît pas si improbable, d’autant qu’il a mis la barre très haut avec ses productions précédentes. Nous n’avancerons pas davantage d’hypothèses, mais il faut se rendre à l’évidence, « La Porte de l’univers » laisse un sentiment de frustration. Si l’on y retrouve bien l’univers de Goossens et ses situations décalées et absurdes (Cognard se rendant à un salon du rire pour y piocher de nouvelles blagues, Cognard jugé pour avoir tué un homme en plaçant une énorme punaise rouillée sur sa chaise…), il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Les fous rires que j’ai pu avoir dans les premières pages se sont vite émoussés, et c’est seulement dans la conclusion que j’ai réussi à esquisser de nouveau quelques sourires – mais c’est juste parce que je me suis rappelé que c’était du Goossens !

Ce que l’on ne peut qualifier que de faux pas ne remet évidemment pas le talent de cet auteur, qui reste sans conteste le roi de l’humour absurde en bande dessinée. On le lui pardonnera bien volontiers, et après tout, les champions eux aussi ont le droit d’avoir leur coup de mou. Néanmoins, l’indulgence n’empêchera pas qu’il sera attendu au tournant avec son prochain opus. Mais surtout, ne le lui répétez pas, ça pourrait nuire à son inspiration…