À lire des recueils d’aphorismes du CACTUS INÉBRANLABLE, j’en viens à penser qu’ils disent, plus qu’un roman ou, parfois, une plaquette de poésie, l’homme ou la femme qui les a écrits. Si Buffon a déclaré "Le style, c’est l’homme", a fortiori un recueil d’aphorismes.
C’est particulièrement le cas pour ce recueil de Philippe Simon, ce Normand qui a été instituteur et journaliste à Ouest-France, entre autres auteur de textes de chansons, qui ne veut rien posséder au sens propre (ni prof, ni boulanger, ni épouse), a le don du don (« Donner ne me coûte rien. C’est ne pas pouvoir donner qui me coûte beaucoup. ») et qui va « par monts et par mots » depuis sa naissance à la fin des années 50 à Coutances.
Amateur d’huîtres (qui "garderont toujours quelques mystères" pour lui), ayant pour seule fortune les mots, aimant autant les points-virgules qu’il ne goûte point les points d’exclamation, il est attentif à la qualification des mots dans la phrase (les verbes en fleurs, les adjectifs diaboliques, les adverbes – trop ? – sucrés).
"Tout bonnement" (le début d’un de ses aphorismes) aurait aussi été, je trouve, un bon titre à cette palanquée de phrases bien tournées qui parlent de lui et du monde, d’une enfance douce amère…
Il y a de la gravité et des blessures (« Le poète laisse ses blessures saigner sous le vernis des mots ») qu’on devine (« On souffre comme on aimait : trop ») dans ces évocations du passé (« Je suis né par hasard, j’ai grandi comme j’ai pu. Je m’en irai par inadvertance. »), On le lit nostalgique de ses vingt ans (« arrivés trop tôt ») quand il était (presque) sûr d’être immortel, quand l’An 2000 de son enfance était « si merveilleux »…
"L’enfance est un chagrin qui ne dort que d’un deuil", écrit-il.
Ou encore : "Dans ma famille, le bonheur était une option."
Mais de sa mère, il écrit : « Je suis riche de toi qui m’as donné la vie. »
Regrettant l’existence des frontières qui ont précédé les barbelés, il a cette formule : « Les professeurs, qui voulaient m’enseigner la géographie, n’ont jamais bien su où me situer. » Animé d’un bel esprit d’indépendance, épris de liberté, il se méfie des maîtres qui peuvent basculer tyrans et, il va sans dire, de la poussière qui tyrannise, entendez par poussière les vacuités de l’existence, le trop mortel.
Ecrire, dans les différents genres qu’il a pratiqués, a certainement été pour lui une bouée de sauvetage, un phare dans la brume de l’existence, ainsi qu’il l’exprime : « Ecrire, c’est mettre en vie en jeu pour tenter de la sauver. »
En le lisant, on sauve de même un moment de liberté au tumulte des jours ; on en sort réconforté, un peu moins con, un peu plus fort.
QUELQUES APHORISMES extraits du recueil...
Mes souvenirs d’enfance, je les ai dépensés jusqu’à leur dernier franc.
Est-ce une société secrète qui fabrique les mystères ?
Le peuple a raison quand il vole un sou d’honneur et de justice.
L’épouse s’efface quand la maîtresse s’épile.
La Norvège, le pays où les rennes sont rois.
Je n’ai jamais bradé mes mots au vent des banderoles.
Dialogue de mouches : « Tiens, une nouvelle réunion qui commence. – Encore un sale moment à passer.«
Je n’ai constaté aucune désertion dans les rangs de mes soldats de plomb.
Ça lui fait une belle jambe à l’homme d’avoir marché sur la Lune.
Il y a deux âges dans la vie : celui où on ignore que la vie est tragique ; et celui où on le sait.
Kinbote - Jumet - 66 ans - 22 mai 2023 |