La soutane
de Albin-Georges Terrien

critiqué par Catinus, le 10 septembre 2022
(Liège - 72 ans)


La note:  étoiles
Souvenirs douloureux dans un collège catho
Albin-Georges Terrien : « La Soutane »

Nous sommes en 1947. L’histoire se déroule dans l’Ardenne belge, tout particulièrement dans l’Ardenne luxembourgeoise et plus précisément encore au collège de Tarbe (nom d’emprunt) à quelques kilomètres de Bastogne. Tout au long de ces 360 pages, nous allons suivre trois jeunes adolescents : Jean, Pierre et Victor. A l’âge de douze ans, ils vont être confrontés à une institution catholique épouvantablement austère, dirigée qu’elle est par des prêtres peu recommandables. On y distille un enseignement sclérosé avec, à la clef, une foule d’interdictions absolues sous peine de renvoi et de déshonneur. La misogynie y est obsessionnelle vu que, selon les Saintes Ecritures, la femme est le diable en personne, origine qu’elle est de tous les maux sur Terre. Toutes ces lignes rappelleront de sacrés drôles souvenirs à ceux qui ont vécu cette période que je ne qualifierai pas.
L’auteur, Albin-Georges Terrien est né en 1934 à Engreux, village situé tout près de Houffalize. Il fut instituteur rural de 1956 à 1986. Il est l’auteur de deux autres ouvrages « Vive la Guerre » ( dont je cause dans un autre article) et « La Glèbe » que je vais m’empresser de lire incessamment sous peu).

Extraits :

Note : fait rarissime, on parle de Gouvy dans ce roman. Si le nom de Gouvy est mentionné dans certains livres - ceux concernant l’Offensive allemande en 1944/1945, par exemple – jamais au grand jamais il n’est évoqué dans un roman ; à part dans les deux fictions récentes signées par Bernard Caprasse « Le Carnet orange » et « La Dérive des sentiments » (dont je cause sur ce blog). Merci, monsieur Terrien !

- Le tortillard poussif les emmena en crachotant dans les montées, jusqu’à Gouvy où ils devaient attendre, pendant presque trois heures, la correspondance venant de Luxembourg. Pendant tout ce temps, pour rompre l’ennui, ils sortaient de la salle d’attente et traînaient à travers le petit bourg, s’arrêtant devant les vitrines des rares magasins : boucherie, pâtisserie, maroquinerie, pharmacie, boutiques de chaussures, de meubles … Rien ne les intéressait vraiment. Leur tête était toujours pleine des quelques jours heureux, bien trop brefs, qu’ils venaient de vivre en famille. (…) En ce maudit dimanche 2 janvier, il pleuvait des cordes et les Ardenneux restèrent confinés dans la salle d’attente de la gare. Férus de lecture, Victor et Pierre regardaient les livres et revues mis en évidence sur les rayons de l’aubette. Des titres de romans mettaient l’eau à la bouche de ces adolescents en qui la sexualité s’éveillait : « Le Printemps des Amours, Les Sept Femmes, La tentation d’Angélique, Une Fille est une Fille, L’Ecole de la Chair, Les mille Vierges ».

- « Je vous signale que dimanche prochain, c’est la Journée de la Bonne Presse. Il existe une bonne et une mauvaise presse. D’ailleurs, une affiche sera apposée à la porte du parvis des églises. Cette affiche est divisée en deux. A gauche vous trouverez Le Drapeau Rouge, La Meuse, Le Soir, La Dernière Heure. A droite, la triomphante Libre Belgique, Le Phare et Vers l’Avenir. »

- Comment ces jeunes, inhibés, déshabitués du monde extérieur, complexés vis-à-vis des gens libres, moroses au lieu d’être joyeux, modérés au lieu d’être excessifs – ce qui aurait été normal à leur âge – bridés dans leurs élans, cassés dans leur dynamisme, allaient-ils pouvoir s’intégrer dans un monde mouvant qu’ils ne connaissaient pas ou ne connaissaient plus.

- « Avant que vous ne soyez pas tentés par de mauvais spectacles et de vous épargner le péché d’impureté, nous allons éliminer du dictionnaire toutes les images qui seraient de nature à éveiller en vous des pensées et des désirs impurs. Ouvrez votre Larousse à la page 848. Sur celle-ci étaient représentés six tableaux notamment une toile d’Honoré Daumier « Le Wagon de troisième classe » ou encore « Femme retirant son bas » de Jules Dalou. »
« Découpez ces images ! », ordonna-t-il »
(s’ensuit l’énumération d’autres œuvres licencieuses)