Un héritage d’amour
de Myette Ronday

critiqué par Voiz'art, le 13 mai 2022
( - 53 ans)


La note:  étoiles
Un héritage d'amour
Avant qu’il ne soit donné en héritage, ce roman est d’abord, avant tout et après tout, un roman d’amour, se déliant avec son cortège d’intrigues, de drame, de merveilleux, d’énigme et de tendresse infinie. Une citation de Marie-Louise von Franz mise en en exergue en dit toute l’exigence :
«Si une personne ne saisit pas, par intuition, l’aspect d’éternité qui habite l’amour, elle en fait facilement une tragédie personnelle et tout se passe comme si une étincelle du feu éternel s’éteignait dans une flaque d’eau.»

À l’exploration des sentes tendrement alambiquées des sentiments s’ajoutent celle des corps. L’amour a transformé une jeune fille fière, timide et réservée en une jeune femme sourdement exaltée et rusée, dotée d’un solide sens pratique. Le jeune Allemand connu pendant l’Occupation (nous sommes en 1942), cet «ennemi», elle n’aimera jamais que lui, il sera son seul amour, tout simplement parce qu’elle n’a pas en elle pour aimer deux fois comme cela, avec une telle intensité, avec un tel don d’elle-même, un tel investissement physique et sentimental.
En même temps, l’expérience amoureuse lui permet de s’adonner entre ombre et lumière à une sorte de constante et intime oscillation aboutissant à la décantation de visions intérieures, impossibles à exprimer autrement, alors que de cet amour naît une petite fille et que la vie se poursuit dans la séparation, l’absence où l’on recrée la figure de l’être aimé.
Se retrouvant seule au lendemain de la guerre, son amoureux étant rentré en Allemagne, la mère se confie dans des lettres plus émouvantes les unes que les autres, qu’elle n’enverra pas, et qui resteront dissimulées dans une maison de poupées, jusqu’au jour où l’enfant devenue adulte les trouvera, découvrant ainsi l’amour merveilleux dont elle est le fruit. Découvrant aussi, dans sa profondeur subtile, la figure d’une mère

« Mathilde, sa mère, s’était jurée d’être toujours fidèle à ce premier amour. Prêter ce serment était comme mettre son avenir en gage. L’excitation et l’exaltation constantes qui remuaient toutes ses cellules, l’affolement soulevé en ses sens par les audaces sentimentales, morales et sexuelles, dont elle ne se serait jamais crue capable, semblaient lui révéler sa vraie nature. »

Voiz’Art
L'amour est dans l'estive 8 étoiles

Agnès, la fille que Mathilde a conçue avec Leni, un soldat allemand dont elle est tombée amoureuse en 1942, inventorie, en 1996, la maison laissée par sa mère après son décès alors que des promeneurs découvrent dans l’estive dont elle a hérité dans les Pyrénées, les restes d’un cadavre. La découverte des ossements et leur identification bousculent les plans ourdis par les quelques personnes concernées par cette affaire. Dans la maison de sa mère, Agnès découvre ses origines et son enfance à travers les cartes postales que son père lui a adressées et que sa mère ne lui a jamais remises, les lettres que sa mère a écrites à son père sans jamais les lui envoyer et enfin, dans les confidences d’un homme encore très jeune à l’époque, un témoignage sur la vie que le jeune couple a menée à l’estive.

Le père de Mathilde, chef dans la Résistance, avait conduit le jeune couple dans une cabane très sommaire sur son estive, le temps que la jeune femme assure sa grossesse. La guerre finie, le jeune couple, avec son bébé, a rejoint la vallée où le papa allemand a été traité comme un prisonnier de guerre mais dans les meilleures conditions tout de même, à proximité de sa femme et de son enfant. Bientôt, Leni doit rentrer à la maison en forêt Noire pour redresser l’entreprise familiale en déroute, il propose à Mathilde de le rejoindre mais elle refuse, elle a placé sa fille dans des internats pour qu’elle soit à l’abri des quolibets et maltraitances de la part des enfants du village. La relation entre la mère et la fille n’en n'est nullement renforcée, d’autant plus que la mère n’évoque jamais les origines de jeune fille, allant même jusqu’à lui donner un père qu’elle épouse pour sauver la face. En grandissant Heide, désormais Adèle, se pose des questions et commence à comprendre certaines choses qui l’incitent à chercher ses véritables origines…

Cette histoire pourrait faire partie de la constellation des dégâts collatéraux qui ont détruit de très nombreuses familles et communautés pendant et après la dernière guerre. Myette raconte les malheurs de Mathilde et la quête d’Agnès avec beaucoup de sensibilité et d’émotion, de douceur et de tendresse, malgré tous les arias qui encombrent le chemin de cette famille cherchant un avenir possible, un amour familial et même une relation sentimentale en ce qui concerne Mathilde. L’écriture très poétique de Myette apporte encore plus de douceurs et de tendresse dans le monde de violence où évolue cette famille détruite, cet amour éventé, cet avenir en pointillé…

Myette connait aussi très bien la nature où elle a conduit ses personnages, la flore, notamment les plantes sauvages, est son royaume, elle les connaît toutes comme aucun paysan ne les connait pas, elle sait les nommer, désigner leur propriétés, … Ainsi, elle a su mettre de l’amour et de la tendresse dans les prés de l’estive et de la vallée. Nous avons, aujourd’hui, tellement besoin de tendresse et d’amour qu’il faudrait que Myette nous enseigne la poésie et la botanique pour calmer les ardeurs des va-t’en guerre qui peuplent la planète en l’enflammant.

Un petit post script um pour dire que j’ai bien apprécié son art de l’utilisation des mots que certains croient désuets et qui sont pourtant tellement savoureux et si expressifs.

Débézed - Besançon - 76 ans - 24 juin 2022