À la folie
de Joy Sorman

critiqué par CHALOT, le 3 avril 2022
(Vaux le Pénil - 76 ans)


La note:  étoiles
autopsie passionnante de soins psychiatriques
« A la folie »
livre de Joy Sorman
274 pages
février 2021
Editions Flammarion

Au pays de la normalité et de la différence


Aujourd'hui, on parle d'un enfant différent, au lieu de parler d'handicapé, c'est sympa et juste car il y a dans ce qualificatif la reconnaissance d'une identité et de la richesse propre de tout individu..
Les « fous » sont-ils des fous ou des gens différents, à quel moment est-on « fou » et où se trouve la limite de la normalité ?
C'est un des sujets abordés par ce livre enquête.
L'autre sujet étant la manière de soigner, en France, avec les progrès réalisés mais aussi les reculs liés à la recherche effrénée de l'économie.

Pendant un an, cette auteure est allée s'immerger dans un hôpital psychiatrique dans le pavillon 4B où sont « soignés » des patients qui ont besoin d'une surveillance renforcée.

Elle a observé les patients et le personnel mais a appris à les connaître en les questionnant et en partageant une parcelle de leur vie.

C'est un essai passionnant qui résulte de cette enquête.

Certains sont atteints de pathologies graves, d'autres, beaucoup d'autres sont des victimes d'un agent pathogène : «  La banalité et le vide des jours ça peut suffire à vous rendre malade ».

La pauvreté, la misère sociale, l'isolement conduisent au mal être et comme le montre l'auteure la déprime est parfois pire que la schizophrénie.

Autrefois les personnes abîmées étaient le plus souvent acceptées et intégrées dans nos villages, aujourd'hui, elles sont hospitalisées, internées d'office.

Les personnes soignées -mais au fait, peut-on les soigner complètement- sont prises en charge par le personnel soignant, les infirmiers mais aussi par l'aide soignant.

On redécouvre aussi dans ce livre, la place unique et incontournable des ASH, cet agent de service qualifié qui sait accompagner avec doigté et passion le malade, au-delà même de sa fonction.

Ce sont les relations humaines et sociales très fortes qui émergent dans cette étude réaliste et très sensible.

Si l'auteure est tendre, avec raison, pour ce personnel et pour ces malades qui sont tous attachants, il ne l'est pas pour ces « soins » qui se transforment en injection de neuroleptiques qui révèlent leurs effets néfastes comme « la prise de poids, sécheresse de la bouche, somnolence, dyskinésies, contractures musculaires, tremblements.... »

Nous ne sommes pas là dans « vol au-dessus d'un nid de coucous » mais nous n'en sommes pas loin, pourtant nous avons changé d'époque, avec la réduction du soin remplacée souvent par l'exécution mécanique de protocoles.

Faites le voyage dans cet univers, vous en sortez à la fois abasourdi et à la fois convaincu de la nécessité de revenir à une thérapie beaucoup plus humaine.

Jean-François Chalot