Tous tes enfants dispersés
de Beata Umubyeyi Mairesse

critiqué par Mimi62, le 11 mars 2022
(Plaisance-du-Touch (31) - 71 ans)


La note:  étoiles
Des thèmes universels superbement écrits
Bien que prenant sa source dans le conflit rwandais, il ne s'agit pas d'un récit sur les conséquences des séparations, des traces laissées par la guerre au sein des corps, des âmes et des coeurs.
C'est aussi la difficulté des personnes issues d'une culture et vivant dans une autre, à trouver qui elles sont, à se trouver des repères, des valeurs.
C'est un roman qui traite d'un thème universel.

L'écriture de l'auteur dont le français n'est pas la langue maternelle est d'une très haute qualité que certains "écrivains" de langue maternelle française n'atteignent pas. On y trouve de la poésie, on ressent la douleur, on est emporté par le tourbillon.
Le tourbillon se trouve aussi dans le déroulement du récit. Il est bâti de telle sorte qu'il fait parler à tour de rôle les trois personnages, représentant trois générations d'une même famille mais l'on ne sait pas toujours qui est qui.. on nage par moment dans un certaine confusion qui perturbe la lecture et ne permet pas de recevoir intégralement la force de l'écrit.

En conclusion, c'est un roman fort, d'une très grande humanité, superbement écrit, demandant par moment un réel effort pour se retrouver mais le ressenti lorsque l'on referme le livre mérite largement ce relatif effort.

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Il aurait fallu que je me taise ou que tu me répondes si vite qu'on aurait pu glisser mes mots sous les tiens pour les y dissimuler.

Ma gorge sèche s'est faire couvercle de chagrin.

Tes mots ont eu la violence d'une révélation. Je n'avais pas encore pris conscience que ta confiance était une façade pour ne pas t'effondrer, que la vérité était claquemurée dans ce qui ne serait peut-être jamais énoncé.

Mon retour, je croyais l'avoir accompli en venant dans cette maison de la grand-rue de Butare où j'ai grandi à tes côtés. Pour toi, désormais, j'étais de là-bas. Ton fils était un revenant, je n'étais plus qu'une passante, une plante exotique importée, qui aurait mal supporté la vie sous tes latitudes et qui avait enfin été remportée dans son terreau d'origine. Une Française.

Jamais personne ne m'avait ainsi accueillie, nulle part. Sans effusion, mais avec l'assurance discrète que j'étais au bon endroit, dans mon bon endroit.

... dans ma tête, mes pensées chiffonnées étaient semblables à un drap fatigué de la longue nuit de mon absence, dans lesquels je recherchais une aiguille pour reprendre mon ouvrage de mémoire.

Vous enfanterez dans la violence. Vous êtes la douceur, vous donnez la vie. Que d'injonctions paradoxales accrochées arbitrairement par d'autres à nos existences.

L'instinct maternel, la belle affaire. Parce que nous donnons plus souvent la vie que nous ne la prenons, nous nous devrions d'être la solution humaine à la violence des hommes.

Jamais je ne blâmerai dieu pour ce qui m'est arrivé. C'est moi qui me suis trompée de prière en réalité. Au lieu de lui demander de vous ramener à moi, j'aurais dû le supplier de me ramener en arrière.

Tu vois, si la vie pouvait être comme un tricot, on aurait l'assurance de pouvoir défaire les mailles actives, juste en tirant un fil. Revenir en arrière pour en découdre avec ses erreurs et reprendre en main la trame de son histoire.

Et chaque fois que j'essayais de commencer à raconter, mes phrases s'évanouissaient en d'incontournables points de suspension, se perdaient dans le souvenir d'une douleur que je ne pouvais pas me résoudre à vous transmettre.
J'ai cru vous protéger, je me suis pendu avec ma langue.

Sa langue maternelle, elle, était sa colonne vertébrale, celle dans laquelle s'exprimaient les chagrins, se taisaient les secrets.

Posséder complètement deux langues, c'est être hybride, porter en soi deux âmes, chacune drapée dans une étole de mots entrelacés, vêtement à revêtir en fonction du contexte et dont la coupe délimite l'étendue des sentiments à exprimer.

Elle se remit à chérir sa langue de là-bas, oiseaux-nostalgie, d'autant qu'elle craignait de perdre la maîtrise des mots éparpillés comme autant de petits cailloux semés en vain sur la route à sens unique de l'exil.

Avais-je peur de ton silence qui avait tout avalé, dont j'ignorais si j'allais trouver la façon de l'habiter, s'il allait se couler dans ma gorge, m'empêcher de dire ce que j'avais encore à te dire.

Les artistes racontent, les clercs constatent, tamponnent, classent, archivent. Les coeurs ensevelissent ou exhument.