Sous les galets la plage
de Pascal Rabaté

critiqué par Blue Boy, le 28 février 2022
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
L'héritage est une prison
Albert, tout juste 18 ans, s’apprête à passer son premier été sans ses parents dans la petite propriété de bord de mer où il a pour habitude de passer ses vacances en famille. Papa, qui lui a confié les clés, est persuadé d’avoir fait de son fils aîné un adulte responsable et docile, promis à une carrière prestigieuse et digne héritier du patrimoine familial. Mais s’il avait su ce qui allait se passer, peut-être y aurait-il réfléchi à deux fois… Car le jour où Albert tombe amoureux d’une jeune cambrioleuse traînant dans les parages, tout va partir en vrille…

Auteur prolixe, aussi à l’aise au dessin qu’au scénario, Pascal Rabaté nous offre un récit lui permettant d’exprimer à nouveau son talent d’observateur des mœurs sociales. « Sous les galets la plage », c’est la rencontre entre deux mondes opposés. D’un côté, une petite bourgeoisie de province aux vues et aux portefeuilles étriqués, de l’autre, des parias vivant de petites combines pour pouvoir survivre. Et comme le suggère ce titre pour le moins évocateur, ces deux mondes vont s’entrechoquer jusqu’à un final flamboyant, dans un élan vital alimenté par l’amour et la liberté.

Ce roman graphique intemporel, qui se déroule dans la France des années 60, va nous mener dans les pas d’Albert, jeune homme de bonne famille dont l’avenir aurait dû être tout tracé sous la férule de son père autoritaire et étouffant, totalement acquis aux valeurs d’une France patriarcale. Le jour où il remet les clefs de la maison de vacances à son fils, qui vient d’avoir 18 ans, il ne se doute pas encore que le destin de celui-ci va basculer radicalement. Car ces clés, que le père lui tend comme si elles étaient « les clés du pouvoir », s’avèreront pour Albert les clés vers la liberté… et lorsque l’amour pointera le bout de son nez, sous l’apparence d’une jolie jeune femme peu loquace sur son passé, le point de retour va être allégrement franchi, pour le plus grand plaisir du lecteur…

Sans être trop explicite, grâce à une parole bien choisie ou une simple posture, Rabaté parvient à révéler l’âme de ses protagonistes avec une espièglerie jubilatoire. Ainsi, tout l’état d’esprit du père (qui vouvoie son fils !) est révélé dans cette seule phrase, lorsqu’il vient d’acquérir un meuble à pain dans la brocante du village : « Vous voyez, mon fils, il faut toujours marchander, c’est comme ça que l’on économise et que l’on peut épargner. ». Et c’est bien l’un des points forts de l’auteur, qui a le don de concevoir des dialogues ciselés. Et comme toujours, son trait à la nonchalance étudiée respire la liberté, certaines cases au cadrage très cinématographique évoquant la Nouvelle vague. D’ailleurs, lorsque vers la fin Albert retrouve sa bien-aimée Odette, on pense immanquablement au couple mythique Jean Seberg/Jean-Paul Belmondo dans « A bout de souffle ».

Ce thriller social très fluide, qui ressuscite les fantômes de mai 68, se révèle assez puissant sous son apparente légèreté. « Sous les galets la plage », c’est l’histoire d’une révolte d’une génération sur la précédente, sur les trompe-l’œil de la filiation inaltérable et les carcans du patrimoine transmissible, qui nous questionne de façon assez subversive : et si les enfants ingrats avaient raison ? C’est aussi le récit d’une revanche jouissive des « gueux » aux allures de robin des bois sur les parvenus vaniteux. Sans abus de textes explicatifs et d’effets de manche, Pascal Rabaté en profite également pour livrer une attaque cinglante contre les mâles défenseurs d’une France blanche et patriote, nostalgique du « bon temps des colonies », tout cela grâce à une galerie de portraits finement élaborés et des dialogues ciselés. La conclusion est juste formidable, avec cet irrésistible pied de nez dévoilé sur la dernière image par ce fieffé gredin de Rabaté, qui ne peut pas vraiment dissimuler ses sympathies anars !