Présence au monde, plaisir d'exister
de Jean-Pierre Otte

critiqué par ALICEDIT, le 24 février 2022
( - 55 ans)


La note:  étoiles
Apologie des sens
Voilà un livre heureux – ils ne sont pas si fréquents – qui a d'abord le mérite de rassembler des chroniques publiées au fil du temps dans des journaux et des revues, ou lues à la radio, et qui sont le condensé de la philosophie de vie d'un poète, capable, dans le bonheur d'expression, de rafraîchir des sensations, des idées, des mythologies retrouvées. Avec une vitalité jamais entamée. Jean-Pierre Otte distribue généreusement convictions, mouvements d'humeur et enchantements dans la recherche d'une manière plus exaltante de vivre sa vie.

Dès les premières pages, notre écrivain donne le ton :
«Tout se passe à deux pas. Dans la proximité. À portée de nous-mêmes. Le monde est à notre mesure et à notre démesure. Il s'agit d'aller à l'aventure, que la vie devienne ou redevienne l'aventure qu'elle n'aurait jamais dû cessé d'être.Avant tout, il faut parvenir à voyager profond. C’est une chose qui se perçoit, s’apprend, s’amplifie, s’affine : entretenir, où que l’on soit, des rapports semblables avec le sol, le sous-sol et le ciel étoilé. Le génie du lieu nous procure toujours ce qu’il nous faut pour nous situer dans la même équation d’existence, le même dénominateur commun qui est notre double appartenance à nous-mêmes et au monde.»
Chez Jean-Pierre Otte, la culture est liée à la pleine nature, offerte à toutes les sensations à travers le temps qu'il fait.( Ne serait-ce pas un hasard si ce livre paraît chez un éditeur qui s'intitule ainsi ?). L'âme a son climat. Et dans ses romans (Le ravissement, Petite tribu de femmes, Un camp retranché en France,Le labyrinthe des désirs retrouvés...parus chez Julliard), le temps météorologique influe puissamment sur les personnages. “Nous avons, écrit-il, nos orages intérieurs, des accès de détresse, de tourment, de désarroi, puis de réenchantement quand survient l'embellie. Le bonheur est atmosphérique: il est d'abord dans la capacité de partager sensiblement le monde et de se vivre soi-même dans ce partage. »

“Notre curiosité est notre contribution à la beauté, tantôt merveilleuse, tantôt monstrueuse du monde.” Prenons comme devise cette invitation de Jean-Pierre Otte et explorons ensemble ces territoires éminemment dyonisiaques, et par cela même, très doubles, très renaissants, comme si nous étions en levain, en fermentation de nous-mêmes.

Toute vraie littérature approfondit notre présence au monde réel et établit une atmosphère capable d’éveiller nos sens et de convier l’esprit à plus de sagacité. Elle respire et inspire, professe la confiance, rétablit l’éternelle loi de réflexion, et, à notre doute et notre désarroi, nous fait comprendre que les moyens de métamorphose sont toujours en nous.
ALICEDIT

Exister et y prendre plaisir 8 étoiles

J’ai découvert Jean-Pierre Otte en lisant son P’tit Cactus, « La bonne vie » un titre qui a lui seul pourrait déjà résumer cet écrivain et peintre au talent protéiforme et à la culture aussi vaste qu’un domaine en Quercy. Ces impressions ont été totalement confirmées par tous ses amis qui ont participé au bel hommage rendu par la revue Traversée avec l’édition d’un numéro spécial particulièrement élogieux. C’est donc avec une certaine impatience que j’attendais la lecture de ce recueil de chroniques, j’avais très envie de retrouver l’ami chaleureux, l’amoureux de la nature, l’auteur inspiré et le peintre talentueux dépeint par les artistes réunis pour rédiger l’hommage qu’il méritait tant.

Dans ce recueil Jean-Pierre Otte démontre tout le talent que j’avais déjà découvert dans les deux ouvrages cités ci-dessus : le contemplatif qui s’enthousiasme devant le moindre brin d’herbe qui est pour lui une merveille pure, l’ami nostalgique, le compagnon de tous les souvenirs qu’il décrit avec son grand talent littéraire mais aussi avec beaucoup d’émotion. Cette évocation de son enfance en Ardennes belges est un véritable bain de jouvence, il raconte avec tellement de douceur, d’émotion, d’empathie le pays qui l’a vu naître et grandir, ceux qu’il a aimés, sa famille et ses amis et quelques femmes accortes, et tous le petit bestiaire qui peuplait les plaines et les bois environnants.

En lisant ce livre j’ai senti mon environnement se dissoudre progressivement, s’effacer, laisser la place à cet autre monde où enfant j’inventais, seul ou avec les gamins de mon quartier, des aventures fabuleuses, héroïques, rocambolesques, des aventures qui n’avaient rien à voir avec celles que nous avons vécues l’âge adulte venu. Nostalgie ! Nostalgie !

Ce recueil comporte aussi des chroniques relatant les impressions et sensations qu’il a ressenties lors d’un séjour dans le Sud-Ouest. Mais la partie la plus conséquente et peut-être la plus riche est celle qu’il consacre à sa vision de la littérature, aux auteurs qui l’ont fait vibrer. Là encore, j’ai retrouvé des émotions, des sensations, des idées que je partagerais volontiers. Et pour clore ce copieux recueil, Jean-Pierre Otte ajoute une série de réflexions, parfois générales, parfois très précises, sur l’existence et les aléas de la vie.

Ces chroniques sont de véritables poésies en prose, le vocabulaire en est particulièrement riche et j’ai beaucoup apprécié la volonté de l’auteur de réintroduire dans son langage des mots que certains jugent désuets et qui ont presque disparu malgré leur grande précision et leur saveur littéraire. L’auteur attache une grande importance aux mots tout comme au langage et à sa relation avec la terre, le terroir et même la gastronomie. Ils forment ensemble notre patrimoine identitaire et culturel, ils constituent l’empreinte de nos corps, le fond de notre pensée et la sensibilité de nos cœurs.

Ce recueil pourrait être l’ébauche d’un texte testamentaire que Jean-Pierre écrira peut-être dans des années que nous espérons encore très lointaines. Je me souviens d’avoir écrit à l’occasion d’une autre chronique les quelques mots ci-dessous qui me semblent de plus en plus de circonstance. « J’adopterais volontiers toute la philosophie contenue dans la quasi-totalité des pensées qui figurent dans ce recueil, tant elles m’ont semblé emplies de sagesse, de bon sens, de détermination et de clairvoyance, … ».

Débézed - Besançon - 77 ans - 13 avril 2022


Que la vie soit une aventure 9 étoiles

Jean-Pierre Otte est l'un de mes écrivains-fétiches et je relis souvent quelques-uns de ces livres : Le ravissement, Un camp retranché en France, Un cercle de lecteurs autour d'une poêlée de châtaignes, Le Labyrinthe des désirs retrouvés,...(tous publiés chez Julliard).
Commençons d'abord, pour donner le ton, par citer un bref extrait de ce livre de chroniques que viennent de publier les éditions Le Temps qu'il fait :
«Regardez, c'est l'aube : vous êtes pieds nus dans les herbes étincelantes de rosée, la chant des oiseaux déborde de partout, la lumière se lève aux douves de l'horizon, vous êtes là au milieu du monde, et vous n'êtes plus occupé que de vous-même, par vous-même, en vous-même, dans un élan où esthétique et éthique ne font plus qu'un. Voilà la simple et absolue beauté de ce miracle d'exister !»

Pour Jean-Pierre Otte, tout l'univers tient dans un éclat d'eau, un cri de grive ou une odeur de pivoine. C'est une guérison de tous nos maux et de tous nos malaises par la profonde beauté des choses, : nous pourriez rester là, avec notre vision de l'aube, toute l'éternité, sans frontières entre ce qui vous habite et ce qui vous entoure. Nous sommes ici-bas pour nous faire une âme, à l'image de ces pierres précieuses qui se forment au sein des roches obscures. « L'homme est la matière première à son épanouissement. Et c'est l’avènement du verbe. Le verbe « créer ». Non pas seulement création en art, en peinture, en sculpture, mais création en tout et partout, en geste, en parole, en pensée, création inscrite dans le geste quotidien.»

Dans l'aventure personnelle, ce n’est pas d’instruments de chirurgie meilleurs dont nous avons le plus besoin. Ni de pouvoir d’achat et de primes à l’emploi. Pas davantage de conférences au sommet, de téléphonie sans fil et d’informations intempestives qui nous occultent en définitive la réalité du monde sous la taie d’un malheur indifférent. Mais de l’expérience immédiate de s’éprouver en vie dans cette vie :

«Soyons buveurs de vent, ivrognes de la fluidité, partisans inconditionnels du prodige ordinaire qui avive et revivifie le sang, aiguise les sens, délie et affine les pensées dans un luxe d’évidence, l’idée et le désir même d’une manière plus exaltante de se conjuguer au présent.»

Voiz’art

Voiz'art - - 54 ans - 28 février 2022