Patience, le sistre !
de Marcel Peltier

critiqué par Lucien, le 20 février 2022
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Les tringles des sistres à peine tintaient
Le mot « sistre » évoque immanquablement dans mon esprit l’aria du "Carmen" de Bizet :
"Les tringles des sistres tintaient
Avec un éclat métallique
Et sur cette étrange musique
Les zingarellas se levaient."
Ses connotations ont donc, pour moi, l’éclat baroque d’un opéra mélodramatique, le feu d’un attroupement tzigane, des cliquetis de ferblanterie.
Le sistre, cet « instrument à percussion servant à la danse ou aux cérémonies rituelles, formé d'une poignée se prolongeant par une ou deux branches sur lesquelles sont empilées des sonnailles » est généralement évocateur de musique, voire de bruit.
Il en est tout autrement chez Marcel Peltier, dont le titre fait référence à un recueil de Guillevic mentionné dans l’épigraphe :
"Patience.
Aucune vision
Ne sera le havre."

Guillevic, Relier, […] extrait de "Sistre".

Le recueil de Peltier est donc un hommage à Guillevic. La filiation n’est pas neuve : l’auteur de Décantation du temps a revendiqué à plusieurs reprises l’influence du poète de la concision, de l’allusion. Avec une belle constance, il creuse à nouveau – à bas bruit – le sillon du dépouillement, du minimalisme, si proche de ce silence qui le tente de plus en plus. Il s’inscrit aussi, de manière résolument assumée, dans la mouvance de l’OuLiPo. En l’occurrence, il s’agit de répondre au défi lancé par François Le Lionnais : « utiliser un maximum de sept mots pour composer un poème. »
Défi relevé dans ce recueil de 44 textes, tous de sept mots, groupés pour la plupart en quatre lignes (1 + 3 ou 3 + 4, une fois 2 + 2), sauf le dernier (en trois lignes).
44 x 7 mots = 308 mots. La recension d’un recueil de Marcel Peltier est donc plus longue que le recueil lui-même. CQFD : je viens de franchir le cap des 308 mots.
Il est donc paradoxal d’user de si nombreux mots (« user » est souvent « abuser », gaspiller…) pour parler, en somme, du silence (sa belle définition en forme de koan : « Qui me nomme me tue. ») mais c’est à quoi est réduit le commentateur dont l’outil de travail est précisément le mot.
Dans cette « économie du verbe » à laquelle se livre Peltier, il faut d’ailleurs songer aux nombreux textes – probablement – sacrifiés. Combien ont disparu dans l’écrémage qui mena au recueil ? Ceux qui restent ont été choisis avec Patience (rappelons-nous l’autre mot-clé du titre) pour permettre au lecteur, suivant le conseil de l’auteur, « [d’]approche[r] ces textes brefs dans le calme de la méditation ».
C’est le moment de rappeler la brève mais intense expérience de la méditation bouddhiste zen vécue voici une quinzaine d’années par Peltier. C’est dans un état d’esprit proche qu’il nous recommande d’être pour vivre de l’intérieur ces croquis, ces photographies du vivant dans lesquelles dire moins, c’est en quelque sorte dire plus, le lecteur étant invité à compléter le tableau, à fignoler l’esquisse :

"Dépose son butin
repart
sans hésitation

Solitaire."

***

"Cris
noirs
de suie

Répétés mille fois."

***

"Les chélidoines
décorent
les décombres

Quelle guerre ?"

Ou ce texte clin d’œil déposé, page 48, to the happy few :

"Décantation
au creux
du silence

Fulgurances murmures"

Loin des effets de manche germanopratins, dans un petit coin de notre Wallonie picarde, s’élabore une œuvre qui appelle les qualificatifs les plus démodés : honnête, sincère, profonde… Remercions-en Marcel Peltier, l’alchimiste discret qui transmue le silence en mots.