Hyphes
de Xénia Maszowez

critiqué par Lucien, le 20 février 2022
( - 68 ans)


La note:  étoiles
À trucider des légumes, l’esprit s’apaise
Pour son premier recueil, Xénia Maszowez a réussi à se hisser parmi les finalistes du prix Charles Plisnier. Voilà qui est de bon augure !
Une belle surprise, en effet, que cette poésie sensuelle, à fleur de peau. Une poésie à mâcher, à humer. Rien de plat. Un recueil que l’on peut ouvrir à n’importe quelle page !
Deux exemples : Lécher l’hiver / Comme une glace / Sentir son goût / Geler mes dents
ou encore : Sous la surface / Des choses / Il est / Monts et merveilles / Gratte !
Les « hyphes », ce sont les filaments du mycélium qui courent sous la terre et, venus à la surface, nous offrent l’infinie variété des champignons. Xénia Maszowez explore ainsi les filaments – neurones, synapses – de son cerveau, les chemins de son être, les épanchements filandreux de sa pensée. Le mot, rare et beau, offre bien sûr un jeu de mots que l’auteure ne se prive pas d’exploiter, d’explorer : Hyphes I / Hyphes you / Hyphes we // So maybe // Hyphes. / Toutes ces choses cachées. / Sous-jacentes, sous-terraines, telluriques. / Ces liens secrets.
« Hyphes », aussi, la belle illustration de couverture, œuvre de l’écrivaine qui est également plasticienne : amanite tue-mouches en surface et, dessous, le vaporeux réseau du mycélium. Le champignon hallucinogène des sorcières (et Xénia Maszowez se dit « sorcière en poésie »), effleurement conscient d’un inconscient bouillonnement, ombre portée d’une caverne profonde et sombre.
Le généreux recueil (une centaine de textes !) est divisé en six sections (Monts et merveilles, Hyphes, Jus de cœur, Mange ta soupe, Louves et Même pas mal). Des sections thématiques centrées sur la perception de la nature, l’amour, l’inconscient, l’expérience de l’absurde, la sororité ou encore la maladie – une logique thématique mais pas systématique, le cheminement des « hyphes » mentaux étant bien entendu erratique.
Une poésie dont l’inspiration découle de l’expiration, de la respiration, de la transpiration. La voix personnelle, à la fois brute et sophistiquée, d’une personnalité qui se livre dans toute sa force fragile, comme dans cette Orange sanguine :

Une orange que l’on pèle
à vif
souffre moins
que mon âme
fragile
dans le froid
ce matin

Que personne ne me parle
encore moins ne me touche
Aucun son ce matin
ne jaillit de ma bouche

Une poésie à découvrir, une voix neuve (c’est rare), non dépourvue d’humour, ce qui ne gâte rien : Si l’idée de la mort s’impose : / faire de la soupe / À trucider des légumes, / l’esprit s’apaise
À lire Xénia Maszowez, l’esprit s’agite entre guerre et paix, entre nature et culture, entre trouble et sérénité. Et c’est bon.