Le jeune acteur - tome 1 Aventures de Vincent Lacoste au cinéma (01)
de Riad Sattouf

critiqué par Blue Boy, le 28 février 2022
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Les bienfaits de la bogossitude
Alors même que le sixième et dernier tome de « L’Arabe du futur » n’est pas encore sorti, et que ses « Cahiers d’Esther » sont toujours en cours, Riad Sattouf nous revient avec un nouveau projet dont nous n’avons ici que la première partie. L’auteur ayant compris que les séries lui réussissaient, il aurait donc tort de s’en priver… Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, celui-ci a carrément créé sa propre maison d’édition, baptisée « Les Livres du futur », pour le lancement de ce « Jeune Acteur ». Cet ouvrage est pour Sattouf l’occasion d’évoquer les débuts au cinéma de Vincent Lacoste, ce jeune ado boutonneux dont personne n’aura oublié la bouille unique avec ce je-ne-sais-quoi de comique (sa « bouche de téteur » sans doute…), que l’on découvrait dans « Les Beaux Gosses », le premier film du bédéaste franco-syrien.

Il y a dans cette BD tout ce qu’on aime chez Riad Sattouf et qu’on a aimé avec « L’Arabe du futur », cette façon particulière et captivante de raconter les (petites) choses, d’évoquer des situations ordinaires avec un naturel réjouissant et cet humour propre à l’auteur alliant autodérision et franchise. Une franchise presque enfantine où le bon mot n’est pas recherché à tout prix pour faire marrer le lecteur. Peu disposé à la flatterie à l’endroit du jeune Vincent, Riad, comme il le raconte explicitement dans son récit, cherchait des physiques atypiques pour son film. Pour incarner son ado de 14 ans, Hervé, et son pote Camel (Anthony Sonigo), il lui fallait des « moches », « comme dans la vie, avec des têtes bizarres », comme lui pouvait l’être au même âge… Et sur ce plan, le but était atteint !

« Le Jeune Acteur » va ainsi nous permettre de suivre les coulisses du tournage, des séances de casting à la montée des marches à Cannes (« Les Beaux Gosses » eut tout de même les honneurs du festival via la Quinzaine des réalisateurs, avant d’être césarisé !). Une aventure passionnante émaillée de quelques galères (Lacoste a failli ne pas faire le film à cause d’une blessure au genou), avec la contrainte de devoir suivre en parallèle ses cours au collège et de passer le brevet.

Riad Sattouf inaugure le récit en évoquant sa passion pour François Truffaut, qu’il avait découvert dans « Les Quatre Cents Coups », fasciné dès lors par le personnage d’Antoine Doinel qui fut la muse du réalisateur. Lorsque la productrice Anne-Marie Toussaint, après avoir remarqué ses albums « Retour au collège » et « La Vie secrète des jeunes », lui proposa de participer à un film sur les jeunes, Sattouf sauta évidemment sur l’aubaine et « osa » s’imposer pour le tourner lui-même ! Presque par hasard, le grand fan de Truffaut allait tourner ses « Quatre Cents Coups » et trouver son « Antoine Doinel » ! Vincent Lacoste, collégien anonyme et ordinaire, fut l’heureux élu, et même si ça ne coulait pas de source au début, le courant a fini par passer et Riad est devenu son mentor !

Comme pour souligner le rapport quasi-fusionnel entre les deux personnages, Sattouf va déléguer au bout de trente pages la fonction de narrateur à Lacoste, juste après la scène du casting (où le jeune garçon va se livrer à une démonstration cocasse de tektonik, un des passages inoubliables du livre !), pour reprendre le flambeau à la conclusion. Par une extraordinaire conjonction des événements, il narre sa rencontre (peu conventionnelle) avec Jean-Pierre Léaud, l’acteur qui incarna Doinel, lors d’une soirée organisée par Noémie Lvosky, qui jouait le rôle de la mère dans « Les Beaux Gosses » ! Ainsi, la boucle était bouclée !

Graphiquement, cela reste dans la lignée de « L’Arabe du futur », avec ces monochromes pétillants et ce trait minimaliste à la fois frais, moelleux et hilarant, où les expressions des visages, a priori sommaires, prennent tout leur sens grâce à un détour imperceptible du pinceau. Il y a véritablement un style Sattouf très caractéristique. Celui-ci possède un mode de narration propre à la bande dessinée, qui ne pourrait absolument pas fonctionner sans les dessins et leur rendu comique unique, tout comme les petites annotations hors des phylactères qui sont sa marque de fabrique, et renforcent l’authenticité du propos. Nul doute que cela contribue au succès de cet auteur devenu incontournable, qui se raconte tout en ne se la racontant pas, ou en tout cas, tente de le faire à travers ses productions...

Nul doute qu’avec ce premier volet du « Jeune Acteur », Riad Sattouf a une fois de plus tapé dans le mille. « Le Jeune Acteur 1 » s’impose déjà comme un classique populaire dont le mérite est d’allier septième et neuvième art, et comme son auteur au parcours incroyable transforme en or tout ce qu’il touche, gageons que cela soit du meilleur augure pour sa jeune maison d’édition, une nouvelle aventure qui devrait, on l’espère, confirmer son (autre) don de découvreur de talents ! Et sinon, quand on regarde bien, il n’est pas si moche, Vincent Lacoste…