Les coeurs endurcis
de Martyna Bunda

critiqué par TRIEB, le 20 janvier 2022
(BOULOGNE-BILLANCOURT - 72 ans)


La note:  étoiles
POLOGNE DOULOUREUSE
L’histoire contemporaine de la Pologne est douloureuse, dramatique, souvent cruelle et marquée par de multiples césures, des partages incessants de ce pays, des déplacements de frontière. C’est sans doute ce qu’a voulu illustrer Martyna Bunda dans ce premier roman. Elle y met en scène trois sœurs Gerta, Truda, et Ilda, toutes trois élevées par leur mère Rozela dans le village cachoube de Dziewcza Gora.
Truda rencontre durant l’hiver 1945 un déserteur allemand Jakob Richert qui lui propose de le suivre jusqu’à Berlin. À propos de ce trajet effectué dans les pires conditions, Truda s’interroge sur la nature de leur relation et sur la possibilité d’un enfant à naître : « Ils se cherchaient l’un l’autre avec une telle ardeur, sur ces lits de fortune, qu’un enfant aurait dû naître. Peut-être qu’il aurait mieux valu un Allemand à la maison qu’un bâtard de plus dans la famille ? »
Ilda est engagée dans un organisme s’occupant du traitement des personnes déplacées. Ces dernières comprenaient les populations originaires des provinces orientales de la Pologne cédées à l’Union Soviétique et transférées dans les nouvelles régions évacuées par l’Allemagne en vertu des accords de Postdam de 1945. Au-delà du drame historique des déplacements de population, Ilda y voit une occasion de s’émanciper de sa famille, de s’éloigner physiquement de sa ville d’origine.
Gerta apparaît comme la personne la plus fiable, à la nature bien trempée. Elle s’accoutume dans son enfance à l’endurance, à la peur, à l’accomplissement des tâches ménagères pour sa mère, ses sœurs. La peur tellement intériorisée dans sa conduite, devient une seconde nature : « Gerta avait donc patiemment supporté ces tortures de l’enfance, avec le sentiment qu’il s’agissait d’une sorte d’adoubement pour devenir une femme. »
Ce qui est prégnant dans le roman de Martyna Bunda, c’est l’effacement très prononcé des hommes : ils apparaissent comme peu consistants, indignes de confiance. Ainsi Rozela déclare-t-elle à sa fille Gerta « Les hommes, il ne faut pas trop compter sur eux. »
Martyna Bunda est polonaise, elle met en évidence le lien entre l’histoire d’un pays et les vies de ces trois sœurs marquées en fait par des drames successifs : l’occupation nazie, le changement de frontières, le désastre du communisme, la lutte pour la survie, le maintien de l’identité polonaise. Cette nécessité de survivre engendre quasi mécaniquement une grande dureté dans l’approche de la vie : c’est ce que nous enseigne Les Cœurs endurcis.