Au cœur de la folie
de Luca D'Andrea

critiqué par Homo.Libris, le 28 novembre 2021
(Paris - 58 ans)


La note:  étoiles
Il y a de la vanité dans l'expiation...
1974. Haut-Adige/Sud-Tyrol, enclave austro-germanique en Italie du nord.
Robert Wegener, chef d'une bande mafieuse, aspire à devenir membre d'une puissante organisation internationale, le Consortium. Comme épreuve d'entrée dans cette société secrète, il a acquis des saphirs d'une grande valeur, au prix de nombreux meurtres et forfaits.
Marlene, la jeune épouse de Herr Wegener, voit sa vie transformée par un heureux événement inattendu. Décidée à changer de vie, loin des activités criminelles de son mari, elle vole les saphirs et s'enfuit. Malheureusement, surprise par une tempête de neige à l'approche des cols alpins, elle s'égare dans la profonde forêt, quitte la route, et enfonce la puissante voiture dans un arbre.
Simon Keller est un "Bau'r", paysan vivant dans les forêts alpines, entre Autriche et Italie. Traumatisé par un drame familial survenu dans son adolescence, il vit solitaire dans son "maso", avec Lissy, ses cochons, les livres de ses ancêtres, et ses fantômes.
L'Homme de Confiance est un tueur impitoyable d'une haute expertise, qui met un point d'honneur à mener à terme tous ses contrats. Sa mission : trouver Marlene, la tuer, et rapporter les saphirs.
Les ingrédients sont là : Un mafioso ambitieux et rancunier, une jeune femme en fuite, un homme des bois solitaire au lourd secret, un tueur à gages tenace, quelques personnages secondaires, et … la montagne du Haut-Adige et sa forêt impénétrable comme décor.
Action.

Pas facile de résumer ce roman aussi substantiel que le précédent du même auteur ("L'essence du mal" http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/52677) qui m'a laissé le souvenir d'un récit achevé, dense, prenant, au style maîtrisé. Luca d'Andrea continue sur sa lancée et nous livre un deuxième roman d'aussi bonne facture.
"Au cœur de la folie" mêle la puissance évocatrice des contes germaniques à un thriller psychologique intense, d'une noirceur à couper le souffle, à glacer le sang, à filer des sueurs froides. Comme toutes les légendes, celles-ci ont une magie intemporelle qui interagit avec nos plus grandes peurs, nos angoisses les plus morbides. "L'homme ne désire pas ce qu'il voit. L'homme désire ce qu'il imagine." Dans ce petit maso, entre solitude et silence, entre montagne et forêt, dans les neiges d'un vif hiver, ces créatures fantastiques hantent les âmes damnées et effraient les jeunes femmes égarées. "Le monde grouille de signes, de miracles, et de mystères." Au cœur d'une société secrète et de ses déploiements armés, au cœur du crime et de la violence, au cœur de la corruption, l'auteur nous emmène au rythme d'une haineuse vengeance et d'une traque impitoyable. D'une écriture incisive et hypnotique, Luca d'Andréa maîtrise ses effets, entre paranoïa et peur sourde, entre innocence et horreur, entrelaçant les séquences comme un mille-feuilles, d'un quasi huis-clos aux cercles concentriques inexorablement rétrécis à la traque dans les grands espaces de la forêt alpine, son récit prend aux tripes pour ne plus vous lâcher. "La désinvolture avec laquelle on passait de l'image d'une fillette brûlée au napalm à la publicité pour un produit d'hygiène intime le fascinait." Le lecteur dévore ce livre aussi goulûment que la douce Lissy qui a faim… Un thriller bien plus puissant qu'une simple chasse à l'homme, bien plus fantastique qu'une histoire d'amour à l'agonie, bien plus mordant qu'un croc de truie, bien plus retors qu'une mafia déterminée, bien plus dynamique qu'une fuite éperdue vers une liberté espérée. "Si on est vivant, c'est grâce au destin. Or on ne crache pas au visage du destin." Luca d'Andrea explore les dérives de la solitude, des liens du sang empoisonnés, et des traumatismes de jeunesse qui régentent toute une vie… "L'évangile parlait de dates et de désert. De chameaux et de pêcheurs. Comment auraient-ils pu y trouver une réponse à leurs questions faites de neige et de forêts ?".
Tous les ingrédients sont là pour rendre accro à ses lignes, aussi affamé que Lissy, jusqu'à une fin des plus surprenantes,

On pardonnera à la traductrice (Anaïs Bouteille-Bokobza) l'emploi récurrent de "bien évidemment" et "bien au contraire", erreurs en passe (hélas) de devenir communes. Toutefois, le mésusage du psittacisme "échanger" en lieu et place de "discuter, converser, causer, bavarder, etc." est pour le moins inadmissible. L'auteur utilise-t-il "scambiare" ou "sciambiarsi" dans la V.O. ?

Tous mes remerciements et mes excuses à Stelphique. Honteusement, je me suis fortement inspiré de sa critique du roman de Luca d'Andrea pour rédiger cette recension. Je n'aurais rien écrit d'aussi bien qu'elle (cf. https://fairystelphique.wordpress.com/)