Ardennes 1944. Le va-tout de Hitler
de Antony Beevor

critiqué par Septularisen, le 28 novembre 2021
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
LA GUERRE DANS LES ARDENNES.
Novembre 1944. La guerre semble définitivement perdue pour l’Allemagne nazie, prise en étau entre l’Armée Soviétique aux portes de la Pologne, - et qui s’apprête à se précipiter vers la ville de Berlin -, et les Armées Alliés, arrivées devant le Rhin, à la frontière occidentale du Reich et qui menacent la région industrielle de la Ruhr.

Les généraux et les stratèges américains estiment que les nazis sont d’ores et déjà vaincus et ne sont guère plus en mesure de faire autre chose que de se défendre… Et pourtant, dans le plus grand secret, une concentration militaire de grande ampleur est organisée. Les nazis préparent une grande contre-offensive éclair en Belgique et au Luxembourg, - là où le front tenu par les Américains est le plus vulnérable, - avec comme objectif concret la Meuse et le port d’Anvers et comme objectif hypothétique, de faire éclater la coalition anglo-américaine.

Le 16 décembre, sous la poussée des panzers allemand, le front est enfoncé sur cinquante kilomètres de profondeur. Complètement surprises par l’offensive, nombre d’unités américaines se replient dans le plus grand désordre, mais d’autres résistent héroïquement… Dans les Ardennes les températures tombent à moins 22 degrés. Juste avant Noël, plusieurs unités américaines sont encerclées à Bastogne, alors que le mauvais temps empêche toute opération aérienne de ravitaillement ou de renfort…

Que dire sur ce livre? Comme toujours avec l’historien anglais Antony BEEVOR (*1946), si c’est très facile à lire, c’est aussi très factuel. L’auteur prend bien le temps de mettre en place tous les acteurs, et la scène sur laquelle ils s’affrontent, les tenants et les aboutissants, la stratégie etc... La partie «histoire» du livre ne commence ainsi qu’après la page 200. Son récit nous présente alternativement les batailles sur le terrain, le point de vue politique, stratégique, tactique et individuel.
La documentation et les connaissances de l’auteur sont impressionnantes, rien à redire là dessus, cela frise même la perfection! Il nous fait littéralement vivre cette bataille comme si on y était, comme la vécurent à l’époque les états-majors, les officiers, les soldats – des deux côtés d'ailleurs –, sans oublier bien sûr les civils! Il ne faut pas hésiter à se référer aux cartes, indications, annexes, grades des différentes armées en présence et glossaire, abondamment présents à la fin du livre, sous peine de se perdre définitivement dans la multitude des noms, des lieux, des batailles, des faits, des évènements et des personnages…

Je dois dire que M. BEEVOR est vraiment très fort pour nous restituer tous les aspects, - même les plus horribles -, de la guerre. Froid glacial, pénurie de vivres, massacres de prisonniers, cadavres piégés, représailles et massacres contre les civils, combats rapprochés, amputations à la chaîne, snipers, 5e colonne, manque de nourriture, véhicules en panne, cadavres qui gèlent en quelques minutes dans la position dans laquelle ils ont été tués, bombardements et mitraillages à l’aveugle y compris sur les populations civiles, destructions totale de dizaines de villages belges et luxembourgeois (l’histoire raconte que La Roche-en-Ardenne fut si massivement détruite que même les hirondelles, voulant reconstruire leurs nids au printemps, furent désorientées…).

Une fois de plus, M. Antony BEEVOR excelle à multiplier les points de vue, avec empathie et sans jugement moral. Il rend à cette bataille, - l’une des plus féroces et des plus inutiles de la Deuxième Guerre Mondiale -, sa juste place dans l’histoire.
Hiver 44/45, souvenons-nous ! 10 étoiles

Ce livre est parfaitement résumé dans la critique de notre ami Septularisen mais rappelons l’essentiel : Les troupes alliées, après le Débarquement du 6 juin 44, étaient arrivées sur le Rhin. En même temps, les Russes fonçaient sur Berlin. Hitler avait alors imaginé de contourner l’offensive alliée par les Ardennes belges, de passer la Meuse à Liège puis de foncer sur Anvers. C’est ce qu’on a appelé l’offensive von Rundstedt.

J’ai été passionné par ce livre parce que j’ai gardé un souvenir assez précis des événements de cette époque. Pendant cet hiver 44/45, Hitler expérimentait ses armes secrètes en pilonnant la ville de Liège de bombes volantes V1 – que les Liégeois appelaient des « robots .». En même temps, l’aviation américaine s’efforçait de détruire les ponts de la Meuse en lâchant leurs bombes de très haut pour éviter les tirs de la DCA. Mais ce sont de bons souvenirs parce que nous étions enfants. Je me souviens qu’on montait sur les grands terrils pour voir le ballet des avions et les bombes et robots qui tombaient dans la Meuse et sur la ville. Pourtant nous savions que la situation était grave. Les grandes personnes suivaient les événements de très près et c’était « le » sujet des conversations aux repas, quand ils avaient dit aux enfants « taisez-vous, vous parlerez au dessert ». L’inquiétude était palpable. L’offensive von Rundstedt se rapprochait de Liège et ravageait des patelins que nous connaissions bien pour y avoir de la famille et des amis.

Mais revenons à notre livre. Comme toujours, Antony Beevor arrive à nous raconter au jour le jour, toutes les péripéties de tous les combats, avec les noms des lieux, la description du terrain, le nombre de victimes et les quantités de matériel utilisé et détruit ; c’est très fouillé mais ça ne paraît jamais trop long tellement le récit est passionnant.

Il nous raconte aussi les démêlés entre les officiers, autant du côté des Alliés que du côté des Allemands. Et ça, c’est amusant autant qu’ahurissant. Du côté allié, le hauts gradés se détestaient, se jalousaient et se chamaillaient comme des gamins. Le pire de tous était certainement Montgomery. D’après l’auteur, il était prétentieux, arrogant, il se prenait pour un génie. Patton l’appelait « le petit péteux aigri » et aurait volontiers lancé ses troupes contre lui pour le faire taire. Montgomery n’exigeait rien de moins que de remplacer Eisenhower dans la direction des opérations. Le Général Bradley, qui donnait ses ordres depuis le Grand Duché du Luxembourg, en informait son ami Eisenhower et entrait dans des colères homériques. Mais Eisenhower savait qu’il devait ménager Mongomery parce qu’il était soutenu par la presse anglaise et en particulier par Churchill, qui accusait volontiers les Américains d’incompétence.
Du côté allemand, beaucoup d’officiers avaient compris que Hitler jouait un coup de poker désespéré mais ils n’osaient pas parler parce que d’autres croyaient encore en son génie et les auraient dénoncés. Le Général Model, par exemple, affirmait sans rire : « nous gagnerons la guerre parce que Hitler le veut ! ». Un autre général, nommé Otto Romer, qui était un confident du Führer, aurait dénoncé quiconque aurait osé dire autre chose.

Les troupes allemandes de cette offensive étaient constituées en grande partie de « jeunesses hitlériennes », des jeunes adolescents d’un dévouement inconditionnel à leur idole. Mais aussi d’une cruauté inimaginable : ils massacraient des familles entières comme par plaisir, ils exécutaient les prisonniers et, quand eux-mêmes étaient pris, ils s’envoyaient une balle dans la tête après avoir crié « heil Hitler ! ».
La division la plus importante « Das Reich », composée d’une élite SS, était commandée par l’officier responsable des massacres de Tulle et d’Oradour-sur-Glane, un certain Heinz Lammerling. Cette unité organisait des massacres de civils, soi-disant pour se venger de leur défaite d’Aix-la-Chapelle. En réalité c’était pour leur plaisir. Le massacre le plus terrible, celui qui a marqué à jamais la mémoire ardennaise, fut celui de Malmédy : des centaines de civils et de prisonniers avaient été transportés dans une prairie et mitraillés jusqu’à ce que mort totale s’en suive. Les victimes avaient ensuite été dépouillées de leurs vêtements et de tout ce qu’ils possédaient.

Antony Beevor nous dit que de tous les combats qui ont eu lieu en Europe, c’est dans cette bataille que les Américains ont subi les plus grandes pertes en hommes, en munitions et en matériel. Leurs troupes étaient mal préparées. Elles étaient constituées de réservistes qui n’avaient jamais combattu. D’autres étaient au repos, épuisées pour avoir combattu vaillamment lors du débarquement de Normandie. D’autres encore se reconstituaient après les durs combats d’Aix-la-Chapelle. Les conditions climatiques étaient épouvantables. Il neigeait et la température s’était maintenue pendant tous les combats en dessous des moins 20 degrés. Le froid était si intense que les cadavres gelés étaient piqués dans la neige et servaient de poteaux indicateurs.

Tout ça est très bien raconté dans ce livre, avec une émotion contenue et un grand souci d’exactitude. Mais j’ai été surpris que l’auteur évoque à peine une anecdote qui a été célébrée dans toute l’Amérique autant qu’en Belgique : le 24 décembre, la nuit de Noël, les Américains étaient encerclés dans la ville de Bastogne. Ensevelis sous une couche de neige, mal équipés, ils mouraient de froid et de faim. Les munitions commençaient à manquer. Un épais brouillard empêchait tout secours de l’aviation. Ils espéraient les secours des troupes de Patton mais celui-ci, retardé par la neige, n’arrivait pas. C’est alors qu’une délégation allemande s’est amenée en pleine nuit pour exiger la capitulation des Américains. Le Général MacAuliffe qui était de garde, à moitié endormi, s’est alors rendu célèbre en leur répondant « nuts ! », et rien d’autre. La légende veut que les Allemands aient cherché dans leurs dictionnaires un second sens à ce mot qui était traduit par : « des noix ! ». Ce mot de MacAuliffe à Bastogne l’a rendu aussi célèbre que Cambronne à Waterloo, et la ville de Bastogne a connu son heure de gloire ; après la guerre, les cartes de l’Europe éditées en Amérique n’indiquaient qu’une seule ville en Belgique et c’était Bastogne, rebaptisée : Nuts-city.

Quand enfin le 30 décembre Patton fit son entrée à Bastogne, le Général von Rundstedt informa Hitler de l’échec de l’offensive. Mais le Führer, pris de colère, ne voulut rien entendre et les carnages continuèrent jusqu’au 4 février 1945.

Antony Beevor a écrit des livres sur tous les épisodes de la deuxième guerre mondiale et je pense qu’ils valent tous la peine d’être lus et médités. Celui-ci en particulier. Nous devons une reconnaissance éternelle à ces dizaines de milliers de soldats Américains qui sont morts au combat pour notre liberté.

Tous les livres de Beevor sont toujours très détaillés et parfaitement documentés, avec de nombreux plans et des photos remarquables. Cependant attention, ils n’épargnent aucune horreur de la guerre et ne sont jamais facile à lire.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 25 juin 2022