L'Asturienne
de Caroline Lamarche

critiqué par Saint Jean-Baptiste, le 5 septembre 2022
(Ottignies - 88 ans)


La note:  étoiles
Qui sommes-nous ?
Caroline Lamarche s’est mise à fouiller les archives de sa famille soigneusement rassemblées par feu son père dans de vastes coffres qui encombrent les caves de la maison familiale. Un travail de Bénédictin pour un résultat absolument remarquable.

Les ancêtres des Lamarche avaient été de ces pionniers, explorateurs aventuriers qui, vers le milieu du XIXème, sont partis à la découverte de gisements de charbon et de métaux un peu partout en Europe. En Asturies, au nord de l’Espagne, ils ont découvert d’énormes gisements de charbon et de zinc. Ils ont fondé la société « L’Asturienne » qui a fait la fortune de la famille, tout en contribuant pendant plus d’un siècle à la prospérité de la Belgique.

Caroline Lamarche a un art de raconter qui est merveilleux. Je pense que c’est dans ce genre de littérature qu’elle a atteint son sommet. Avec ce récit, « L’Asturienne », elle mériterait d’être classée parmi les « classiques » de la littérature française.

Elle raconte en même temps sa propre histoire, celle de sa famille et celle de la société « L’Asturienne ». En racontant l’histoire de l’Asturienne, elle nous emmène dans la grande histoire sociale des débuts de l’industrie européenne, avec le « paternalisme » des pionniers, les révoltes ouvrières des premières années du XXème, la création des syndicats ouvriers, la grande dépression des années Trente et, comme nous sommes en Espagne, la guerre civile des Franquistes contre les populations révoltées. Cet aspect historique de son récit est, à mon avis, le côté le plus intéressant de son ouvrage.

En face de ça, elle raconte l’attitude de ses ancêtres patrons dont elle examine les comportements sans les juger ; elle laisse ce soin à ses lecteurs. Mais elle avoue avec une pointe d’humour qu’à la lecture de leur correspondance elle s’est quelque peu déniaisée. Dans les grandes familles comme la sienne, dit-elle, on a caché beaucoup de choses aux enfants : comment se sont bâties les grandes fortunes ? au prix de quelles souffrances de la classe ouvrière ? ses ancêtres patrons étaient-ils des cerbères ou des humanistes ? Alors elle veut savoir : « qui sommes-nous » ? Dans ses recherches, elle retrouve un vague cousin anticapitaliste, communiste convaincu, syndicaliste et amateur d’archives, qui lui révèle beaucoup de choses que ses pieux parents avaient toujours soigneusement cachées sous le tapis. Avec ce côté familial du récit on entre dans l’intimité des classes dirigeantes des grandes sociétés industrielles. Là, de nouveau, elle parle de ses ancêtres sans concession et c’est au lecteur de juger.

Quand elle parle d’elle-même, c’est avec lucidité et discrétion ; pas d’apitoiement, pas de tartuferie, pas de confidence non plus ; simplement des faits qu’elle raconte tout simplement mais qui montrent à suffisance comment se sont passées ses recherches et ce que fut, en très résumé, sa vie : enfance dorée en Espagne, adolescence à Paris au siège somptueux de l’Asturienne avec domestiques et tout et tout… Mais où on craque, c’est quand elle raconte son premier bal à Paris, dans ce même lieu prestigieux  : on l’avait habillée comme une princesse, tout était en place pour épater la galerie, mais elle, elle aurait voulu trouver un placard pour s’y cacher… Comment, en très peu de mots, on définit une personnalité !

Les amateurs d’histoire sociale et industrielle de la Belgique seront comblés par cette lecture. Les Liégeois en particulier parce qu’ils reconnaîtront les noms cités dans ce récit et que ces noms appartiennent à l’histoire de la ville de Liège. Mais, à mon avis, ce livre ne touchera pas le grand public ; ce n’était probablement pas le but de l’auteur(e). Ce qui est certain, c’est qu’il restera un modèle pour tous ceux qui ambitionnent de raconter l’histoire de leur famille.