K.O. à Tel Aviv 4 : Le Réaliste
de Asaf Hanuka

critiqué par Blue Boy, le 24 octobre 2021
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
K.O. mais pas mort !
Asaf Hanuka dresse ici un portrait au vitriol de la société israélienne, coincée entre traditions et modernité, avec ses paradoxes et ses névroses. L’auteur égratigne les mœurs d’un peuple vivant dans une sorte de mirage occidental et confronté à un pouvoir sous l’influence des religieux, un pouvoir autocratique qui n’aime pas la critique, et peu respectueux de la liberté d’expression. Pas facile d’exister là-bas si l’on n’est pas d’accord et qu’on se pose des questions. Hanuka sait qu’il n’a rien d’un héros révolutionnaire mais il tente d’exprimer ses ressentiments avec la salutaire « politesse du désespoir », périphrase de l’humour, ainsi qu’une bonne dose d’autodérision.


Avec « Le Réaliste, tome 4 », l’Israélien Asaf Hanuka prolonge sa trilogie « K.O. à Tel-Aviv » (rebaptisée « Le Réaliste » pour la sortie de l’intégrale), étude de mœurs humoristique de la société israélienne contemporaine, qui ressemble beaucoup à la nôtre, à la différence près qu’Israël est une enclave de richesse dans un Moyen-Orient qui peine à se moderniser, y compris pour le Liban voisin plus avancé où la situation n’a cessé de se détériorer depuis plusieurs décennies. De plus, les tensions avec la Palestine liées à une politique de colonisation agressive, qui ne se régleront sans doute pas avec la construction d’un mur, ne facilitent pas la sérénité.

Sous-produit de ce pays schizophrène, Asaf Hanuka transcrit bien avec ces petits sketches d’une page ses questionnements et ses névroses très « occidentales », petits tracas existentiels de « riches ». Education, famille, vie de couple, culture, internet, politique, religion, et bien sûr la proximité du conflit israélo-palestinien (ce conflit qui le « tue »), bref , tout passe à la moulinette de ce torturé qui sait faire preuve d’autodérision et manie l’humour avec subtilité. On ne peut pas dire que l’on rit à s’en péter les zygomatiques, et si l’on ne s’attend qu’à une succession de gags, on en ressortira forcément déçu. D’ailleurs, cela ne se veut pas forcément drôle, mais c’est souvent très caustique même si on ne peut prétendre tout comprendre certains clins d’œil sans doute propres à la société israélienne.

La tension propre à ce pays singulier, oasis de richesse toujours menacé par la spirale de violence avec ses voisins arabes, violence que ses dirigeants contribuent à entretenir, est perceptible dans son dessin coloré à la fantaisie baroque et parfois trash, que la ligne claire parvient à peine à édulcorer. Certaines planches en pleine page révèlent le formidable talent de cet auteur, qui lorgne beaucoup vers une sorte de surréalisme cocasse. Bien souvent, on pense à Marc-Antoine Mathieu pour les délires visuels, et à Boucq ou Goossens pour la touche d’humour, ce qui entraîne quelques éclats de rire inattendus.

On peut tout à fait découvrir cet album sans avoir lu les trois tomes précédents de par sa structure en strips d’une page. Si Asaf Hanuka reste encore peu connu en France, il n’est pas pour autant un parfait inconnu et figure comme un des grands noms de la BD israélienne. Rappelons qu’il a obtenu un Eisner Award en 2016 pour ladite trilogie et qu’il avait été repéré pour la sélection d’Angoulême en 2015, pour le tome 2. Il est également l’auteur de plusieurs albums, dont deux avec Didier Daeninckx au scénario (« Carton jaune ! » et « Hors limites ») et deux autres à quatre mains avec son frère jumeau Tomer, dessinateur également (« Le Divin » et « Bipolar »).