le fou rire de la pluie
de Radu Bata

critiqué par Kinbote, le 23 octobre 2021
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Fantaisies verbales et pépites de poésie
Radu BATA est l’auteur d’une douzaine de livres dans des genres divers et aussi de deux tomes d’anthologie de poésie roumaine, traduite par ses soins (Le Blues romain chez Unicité). Il a été professeur de français tant en Roumanie, du temps du Ceaucescu, qu’en France, dès le début des années 90, mais aussi professeur de journalisme et animateur d’ateliers d’écriture. C’est après avoir observé des réticences de ses élèves à l’enseignement traditionnel de la poésie qu’il a l’idée des poésettes dont il a composé plusieurs recueils dont celui-ci paru cette année.

Les poésettes se démarquent de la poésie courante. Elles font penser, en France, à la poésie d’un Prévert tant par leur faculté de traiter des problèmes les plus actuels comme par leur fond humaniste et muticulturaliste. Avec qui plus est une (auto-)dérision qui ne verse jamais dans le cynisme car l’espoir comme l’esprit de révolte sont les ressorts de l’écrivain. Mais le parti pris de fluidité de lecture n’exclut ni l’acuité ni la subtilité du propos de même que la pluralité des références (pas étonnant, cela dit, venant d’un spécialiste des « cabrioles linguistiques »). Puis, le recueil recèle, parmi de nombreuses fantaisies verbales, des pépites de poésie pure qu’on ne trouve pas dans certains recueils de poésie plus traditionnelle ou qui surjouent, eux, les codes poétiques éprouvés.

Ainsi, ce recueil généreux, aussi bien par les sujets traités que par le nombre de textes qu’il rassemble (plus de 140), regorge de formules aphoristiques du meilleur cru.

les gens sont comme les dauphins :

ils ne vivent que pour les moments

où ils volent

+

dessine des moustaches de chat

au soleil qui se couche

et tu entendras l’horizon ronronner

+

les amours rendent l’âme

mais ne meurent jamais

+

pour l’humanité

l’heure tourne

dans le sens des aiguilles

du sapin

+

les gens rient avec un œil et pleurent avec les deux :

les cyclopes sont heureux

+

on ne peut pas faire entendre

sa petite musique

au chœur de l’armée rouge

+

rien n’arrive à la cheville

de la poésie

du short des filles

+

j’ai toujours pris le radeau

pour glisser

sur la surface de liège

du temps


Si ces textes peuvent faire penser à de la poésie narrative, ils sont aussi faits de métaphores audacieuses et de jeux sur les sonorités qui touchent au coeur de la langue.

Bref, Radu Bata gomme les effets poétiques, de pure forme, qui, à raison, rebutent une partie des lecteurs pour intégrer le merveilleux dans le corps du texte et surprendre. Les poésettes laissent entendre que la poésie n’est pas que dans les livres appropriés mais peut se trouver partout ailleurs, caustique et savoureuse à la fois.


EXTRAITS DU RECUEIL:


LE PORTRAIT DU SANG EN SA JEUNESSE

au temps des baisers

confectionnés

en bouts de ficelle


il nous arrivait

de tirer le rideau

de fer


alors nous touchions le ciel

et nous croyions

que c’était du papier peint


pour

emballer

les rêves.

+

LE CHAT DE SCHRÖDINGER ET LES CACAHUÈTES

"on a greffé dans nos gènes un dé à coudre

mais notre biographie reste décousue"


aux feux de la vie

j’attends depuis belle lurette

que le monde passe au vert

pour traverser ma bio en un éclair

et animer une statue souriante

dans le champ naturiste

de l’au-delà


mais les feux n’en font qu’à leur tête

car la guerre est déclarée

entre les hommes et les hommes

pour une part de marché

un radis noir une croquette une roue de fortune

et rien ne semble les arrêter


alors adieu l’idée de tranquille chlorophylle

alors adieu amour épais

alors adieu sourire pas feints

alors adieu planète vénus

habillée en costume d’Adam

et bonjour bonsoir bonne nuit

l’éternité des canons