La Seconde
de Colette

critiqué par Cyclo, le 28 août 2021
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
Mystère de la jalousie
Donc, je me suis plongé dans "La seconde" (1929), un roman de Colette que je ne connaissais que de nom et qui m’a fortement intéressé.

La "seconde", c’est Jane, secrétaire du grand Farou, écrivain de théâtre de boulevard habitué au succès public, marié avec Fanny mais homme à femmes. Depuis quelque temps, Jane vit chez eux, où Fanny s'occupe de l'éducation du petit Farou, un adolescent issu d’un premier lit. Et Jane sert aussi de femme de chambre de Fanny (en quelque sorte la "première") : elles cousent et cuisinent ensemble, et Jane se révèle indispensable. Tout le roman est vu du point de vue de Fanny qui découvre que Jane, bien plus jeune qu’elle, est en fait aussi la maîtresse de son mari, comme le sont de nombreuses jeunes actrices qui cherchent en lui un rôle de débutante et jouent dans ses pièces ; pour ces dernières, ça ne fait à Fanny ni chaud ni froid, elle sait que ce sont des passades. Mais Jane, là, chez elle, ça lui fait mal et la jalousie s’installe. Celui qui est jaloux aussi, c’est le petit Farou, en quête d’une première femme, et qui est amoureux transi de Jane.

Dans cette maison de vacances où ils passent tous quatre l’été, avec des déplacements de Farou à Paris pour surveiller les répétitions de sa prochaine pièce, l’atmosphère finit par devenir pesante jusqu’au jour où Fanny avoue à Jane qu’elle a découvert le pot-aux-roses et finit pas organiser une discussion avec Farou, retour de Paris. Pour Fanny, la priorité, c'est son mariage depuis 12 ans avec Farou, l'éducation de son beau fils, son « amour » pour les deux, et peut-être même pour les trois, en comptant Jane. Car elle ne peut plus se passer de Jane. Fanny s’efforce de cacher son chagrin : car les incartades de Farou, c’était une chose, mais là, quand ça se passe chez elle, ça dépasse les bornes. Farou est stupéfait, il n’a jamais caché ses infidélités, elle n’en avait jamais fait un drame. Fanny se dit que l’amitié, y compris l’amitié amoureuse, est plus importante, et Farou ne mérite pas qu’elle lui sacrifie Jane.

Une étude de la naissance de la jalousie très puissante. Comme souvent, chez Colette, les hommes n’ont pas le beau rôle : Farou, auteur à succès, jouit de son pouvoir et en abuse, il ne s'occupe pas de son fils. Tout se déroule dans la maison de vacances, unité de lieu donc, propice à une étude sur la jalousie, d’autant plus que visiblement, le jeune Farou se montre aussi jaloux de son père qui, en faisant de Jane sa maîtresse, l’a empêché de faire ses premières armes dans la sexualité. Si Fanny acceptait passivement les incartades de Farou, c’est qu’elle était sûre qu’il lui reviendrait toujours. Jane, elle, est devenue sa confidente, presque son amie. Ce qui rend la trahison plus douloureuse. En fin de compte, Farou laisse les deux femmes chercher et trouver une solution. Le roman se termine sans vraie réponse. Au lecteur de deviner la suite. Quant au jeune beau-fils de Fanny, il ressemble au Phil du "Blé en herbe", lui même inspiré du beau-fils de Colette, dont elle fut la maîtresse. Un beau roman très féminin, servi par une écriture élégante, comme la plupart des romans de Colette.

Au moment où France inter a laissé Antoine Compagnon nous raconter "Un été avec Colette" à 7 h 30 tous les matins de juillet et août, ça valait le coup pour moi d’attendre de lire ce livre que j’avais acheté il y a quelques années.