Rends-moi fière
de Nicole Dennis-Benn

critiqué par Débézed, le 19 août 2021
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Ne plus être qu'une indigène
Dans un village indigène à proximité de Montego Bay, sur la côte nord de la Jamaïque, Tandhi jeune adolescente douée et travailleuse porte tous les espoirs des femmes qui vivent avec elle : sa grand-mère, sa mère, marchande haute en couleurs de colifichets pour les touristes, et sa sœur qui a la chance de travailler dans un grand hôtel où elle fait des heures supplémentaires avec des touristes fortunés attirés par ses charmes. Personne ne connait ses activités extra professionnelles, elle s’acharne pour gagner quelques sous pour sortir sa famille de la misère mais surtout pour que sa sœur puisse poursuivre des études supérieures et avoir une carrière professionnelle gratifiante et enrichissante. Elle n’avoue pas qu’elle cherche aussi à gagner beaucoup d’argent pour s’offrir une vie digne de celle des riches blancs qui la cajolent.

Nicole Dennis-Benn raconte l’histoire de cette famille où les hommes ne font que passer, laissant parfois une graine germée dans le ventre de l’une des femmes qui la compose. Ces femmes ne sont que de pauvres miséreuses, comme toutes celles du quartier, qui se débrouillent pour survivre. Ces trois femmes explorent chacune une voie différente, celle qui leur semble la mieux correspondre à leurs aptitudes : les petits boulots qui rapportent juste de quoi ne pas mourir de faim ; la prostitution qui peut rapporter gros mais aussi générer des contraintes très ennuyeuses : grossesse non désirée, dépendance, asservissement, honte et avilissement, … ; les études qui coûtent très cher, beaucoup trop pour les miséreux qui constituent la population des indigènes. La mère s’échine à vendre des bibelots sans valeur aux touriste. Margot, la grande sœur, nettement plus âgée, joue de son charme et de son sexe avec habileté et sans scrupule pour amasser un petit magot. A quinze ans, Tandhi, elle, a bien compris que sa peau très sombre n’est pas le meilleur atout pour réussir dans la vie, même si est très douée à l’école, aussi essaie-t-elle de l’éclaircir par divers moyens plus ou moins efficaces.

A travers les épisodes épiques, dramatiques, picaresques, sadiques, cyniques, désolants, l’auteur confronte ces trois femmes à la dure réalité dans laquelle elles sont plongées et où elles se débattent avec plus ou moins de bonheur. La dure réalité de la vie des femmes jamaïcaines, surtout quand elles n’ont pas eu la chance de naître de la bonne couleur. Plus elles sont sombres, plus leur vie est difficile. Ces trois femmes doivent tout d’abord, comme tous les indigènes, vivre dans un quartier insalubre où les soins ne leurs sont pas accessibles et les études guère plus. Dès qu’elles pensent voir le bout du tunnel la spoliation ou la puissance de l’argent les contraints dans leur misère. La corruption n’est jamais loin. Le racisme s’applique à l’aune de la pigmentation de la peau, plus elles sont sombres moins elles sont considérées. Et l’homophobie n’est pas que le fait des Blancs, elle est encore plus le fait des Noirs eux-mêmes sous la pression de la religion qu’on leur a inculquée. La prostitution n’est bien souvent qu’un recours contre la faim, la misère, elle s’impose comme une solution ultime.

L’auteur a bien connu tous ces problèmes, elle a vécu en Jamaïque jusqu’à l’âge de dix-sept ans avant de rejoindre son père en Amérique pour y poursuivre des études supérieures. Elle est la première femme jamaïcaine à avoir épousé une autre femme. Ce texte n’est donc pas seulement un roman, une fiction, c’est aussi une image crue et sans concession de la société jamaïcaine et de la misère dans laquelle se débat le peuple indigène, surtout les femmes depuis que les Blancs ont imposé leurs lois, leur puissance, leur richesse et même depuis peu leurs seule présence à travers un tourisme trop souvent humiliant, dégradant, arrogant pour les autochtones.