Derborence
de Charles-Ferdinand Ramuz

critiqué par Cuné, le 1 septembre 2004
( - 56 ans)


La note:  étoiles
De la belle littérature paysanne
Une fois n'est pas coutume je vous livre la phrase qui termine la préface du livre, qui est parfaite :

" Le cocasse et le pathétique, l'acuité d'observation et une émotion sourde qui parcourt l'écriture s'allient pour faire de cette chronique villageoise hantée de superstitions fantastiques un des chefs-d'oeuvre de Ramuz."

Voilà, tout est dit. C'est un petit bijou que ce livre écrit en 1934.

Jeune marié, Antoine est monté au pâturage de Derborence pour l'été avec son oncle par alliance. Survient un éboulement. 18 hommes y restent. 7 semaines plus tard, un Antoine fantômatique sort des pierres; Quel accueil lui fera-t-on ?.....

J'ai beaucoup aimé ce court petit livre, qui dégage un charme puissant et évocateur. Ramuz a renouvelé le genre du roman paysan en son temps, et exercé dans la littérature une influence que Giono lui-même revendiquera.

Je vous le recommande !
un roman paysan transcendé par la confrontation de l'amour et de la mort 9 étoiles

Derborence est un récit d’amour et de mort dans les Alpes suisses, au début du siècle dernier. Ici, la montagne n’est pas seulement le lieu d’un drame (l’effondrement d’un glacier sur un village d'alpage provoquant l’ensevelissement des hommes et des bêtes sous un déluge de pierres) ; elle est avant tout l’incarnation des puissances avec lesquelles les hommes doivent composer pour vivre et parfois lutter pour ne pas mourir. L’écriture de Ramuz, par la force de ses images à la fois très poétiques et d’une évidence simplicité qui est le sceau de leur justesse, par le rythme savamment dosé du récit qui crée des moments de tension et ménage des effets de suspense parfois presque cinématographiques, retrouve l’art oral du conteur tel qu’il a sans doute été pratiqué dans les longues veillées hivernales lorsque la neige et la nuit isolait les chalets et qu’il fallait bien tromper le temps…

Comme il serait cruel, pour l’éventuel lecteur du roman, de révéler davantage l’histoire (même si, dès le tiers du récit, on pressent le dénouement), je me contenterai, comme les critiques précédentes, de faire l’éloge de la capacité de Ramuz à restituer, en ce court roman, l’atmosphère d’un village de montagne et, au-delà, de toute une époque. Ramuz est aussi un écrivain très conscient de son art et de la puissance d'évocation du langage et des mots, comme le montre sa longue description de Derborence (qui est un lieu de pâturage isolé et encaissé à l’aplomb d’un glacier) à partir de la décomposition syllabique du nom Der-bo-rence. Au-delà de la force de ses descriptions, il sait également saisir toutes les nuances des émotions humaines et parvient, grâce à l’universalité éternelle des qui font écho dans le récit (la mort, la fragilité de la vie, l'amour, la force de la volonté, le face-à-face de l’homme et de la nature, etc.), à le hisser au-niveau d’un mythe éternel, celui de l’amour plus fort que la mort, qui est le vrai sujet du roman…

Eric Eliès - - 49 ans - 4 octobre 2014


Une belle découverte 9 étoiles

Trouvé tout à fait par hasard à la bibliothèque, dans le stock qui ne tourne plus, un vieux livre presque en décomposition, j'étais assez surprise j'avoue, il semble bien que cet auteur qui m'était d'ailleurs auparavant inconnu ne soit pas très lu chez nous (en Belgique). C'est un tort !

J'ai eu tout un temps une période romans du terroir que j'ai totalement abandonnés depuis une overdose de Signol, cela ne me tente plus du tout.

Et là, je découvre une tout autre écriture pour un roman qui est pourtant bel et bien un roman du terroir.

Une écriture à la Giono, des mots simples, pas de grandes passions, pas d'éloquence particulière et néanmoins une atmosphère lourde, intense.
On vit la séparation, l'attente, la joie de penser aux retrouvailles, le bruit sourd de la montagne qui s'écroule, la peine indescriptible qui saisit l'épouse aux tripes, le fatalisme et puis tout à coup, un fantôme apparaît... Antoine est vivant... vivant mais blessé, vulnérable, infiniment plus atteint par la perte brutale des siens que par les blessures physiques dues au manque de nourriture, à l'isolement de ces semaines passées seul à Derborence.

La douleur est palpable, on pressent la fin inéluctable, comment surmonter un tel choc psychologique ???

Un beau grand roman qui n'a rien des sirupeux terroirs de Signol, un roman d'amour grave.

Agnes - Marbaix-la-Tour - 59 ans - 26 janvier 2005


L'âpre musique de Charles-Ferdinand Ramuz 8 étoiles

Sans doute un des chefs-d'oeuvre de Charles-Ferdinand Ramuz, "Derborence" est le livre idéal pour permettre à ceux qui ne connaîtraient pas encore ce grand écrivain vaudois de se familiariser avec son style âpre et rude, ses phrases comme taillées à la serpe.

Le pâturage de Derborence a été enseveli sous un éboulement, hommes et bêtes compris. Sept semaines plus tard, Antoine émerge de l'amoncellement des pierres et prend la route du village. Les villageois - et sa jeune épouse Thérèse - hésitent à le reconnaître: est-ce vraiment Antoine, ou bien son spectre, descendu au village pour y apporter la mort et la désolation? Et Antoine, poursuivi par les ombres de ses camarades ensevelis sous l'éboulement, choisira-t-il finalement de rejoindre les vivants ou les morts? Le style rugueux de Ramuz fait merveille pour évoquer la vie rude de ces montagnards, dans une nature grandiose mais qui ne fait pas de cadeaux aux hommes qui tentent de lui arracher de quoi subsister. Mais malgré les difficultés et les colères impitoyables de la montagne, "Derborence" est traversé par une lueur d'espoir, et par une très belle histoire d'amour.

Et si vous prenez goût au style de Ramuz et à l'univers rude qu'il dépeint dans ses livres, je vous conseille aussi de lire ses autres chefs-d'oeuvre que sont "Aline" et "La grande peur dans la montagne", deux livres beaucoup plus noirs que "Derborence", il faut bien le dire. "Aline" nous conte la plongée dans le désespoir d'une jeune femme abandonnée par son amant - qui va en épouser une autre - alors qu'elle est enceinte. Et "La grande peur dans la montagne" fait de nous les témoins impuissants et médusés d'un cataclysme, mais quelle musique dans ces pages! Une musique sarcastique et grinçante, âpre et sauvage, pleine de ruptures et de fureurs... une musique que Stravinski aurait pu composer (Charles-Ferdinand Ramuz a d'ailleurs écrit pour Stravinski le livret de son opéra "L'histoire du soldat").

C'est en tout cas une excellente idée de Cuné que d'introduire Charles-Ferdinand Ramuz sur ce site!

Fee carabine - - 50 ans - 2 septembre 2004