Providence : L'intégrale
de Alan Moore (Scénario), Jacen Burrows (Dessin)

critiqué par Bookivore, le 26 juin 2021
(MENUCOURT - 41 ans)


La note:  étoiles
La terreur indicible
Sorti à la base en trois tomes distincts avant d'être réuni, en 2018, en un seul gros tome d'intégrale (chaque tome comporte quatre épisodes), "Providence" est peut-être bien, avec "Watchmen", le sommet de l'oeuvre du grand Alan Moore, scénariste de bande dessinée britannique au look de Gandalf grognon (n'acceptant pas trop que ses oeuvres soient adaptées au cinéma, il a à chaque fois exigé que son nom soit retiré du générique).
Si ça ne tenait qu'à moi, je clamerais bien haut et fort, fort et clair, clair de lune, que "Providence" est LE sommet de Moore, devant "Watchmen", devant les autres oeuvres, pourtant pas à négliger ("From Hell", "V Pour Vendetta"...), du Maître.
Signé avec Jacen Burrows aux dessins (des dessins assez réalistes, vraiment remarquables), ce roman graphique est un assemblages de variations sur le thème de Lovecraft et de ses oeuvres. Un Lovecraft qui, ici, apparaît vraiment, en tant qu'un des personnages de l'histoire, et Moore n'a pas oublié de mettre parfois l'accent sur un des plus gros défauts de l'écrivain (hormis, mais on n'en parle pas ici, de son absence de talent pour les dialogues) : sa xénophobie. Mais le racisme de Lovecraft n'est pas le sujet de "Providence".
On suit les pérégrinations d'un jeune journaliste américain juif et homosexuel (ce n'est pas un détail follement important pour l'intrigue, mais compte tenu de l'époque où ça se passe, les années 20, en 1919 en fait, il faut le préciser, ce n'est pas un détail sans aucune importance quand même), Robert Black, qui se lance, en solo, sur la piste d'un mystérieux manuscrit alchimique arabe du Moyen-Âge. Tout au long de sa quête, il va croiser différents personnages étranges, louches pour certains, qui ont tous plus ou moins un lien avec une mystérieuse société secrète ésotérique, la Sagesse des Etoiles. Son enquête va le mener d'un très mal famé quartier new-yorkais, Red Hook, à Providence (Rhode Island) et un mystérieux jeune écrivain, en passant par la côte est des USA... Une enquête qui va le mener aux confins de la terreur (et le lecteur aussi)...

Chaque chapitre est titré en relation avec une des oeuvres de Lovecraft, et le roman graphique contient tellement d'allusions, certaines évidentes et d'autres assez subtiles, à l'oeuvre de Lovecraft qu'il serait vain de toutes les répertorier (au débotté, "Le Modèle de Pickman", "Air Froid", "Horreur A Red Hook", "L'Abomination De Dunwich"...). Un connaisseur les repèrera, les savourera ("Providence" n'est pas un pastiche), quelqu'un qui n'a jamais lu Lovecraft aura peut-être envie de s'y mettre (mais qu'il fasse gaffe : rarement lecture aura été aussi anxiogène et terrifiante que celle des nouvelles de cet auteur).
Sorte de prélude à "Néonomicon", court roman graphique que Moore et Burrows ont fait en 2014 chez un autre éditeur pour l'édition française, et dont certains personnages reviennent dans la dernière partie, "Providence" est, autant le dire, destiné aux adultes. C'est parfois gore, parfois un peu sexe, et surtout, l'atmosphère de ce roman graphique est tellement angoissante, prenante, que ç'en est terrifiant. Alan Moore a parfaitement réussi à retranscrire l'atmosphère lovecraftienne ici, il joue avec tout en respectant le matériau original, il fait d'intéressantes variations, liant chaque histoire avec les autres, créant une vraie mythologie (ce que Lovecraft avait de toute façon déjà fait à son niveau, citant les Grands Anciens et le fameux ouvrage maudit "Necronomicon" dans presque chacune de ses histoires, qui se passent quasiment toutes dans la région de Providence).

"Providence", servi par des dessins parfaits qui accentuent le côté anxiogène, et dont chaque chapitre est suivi par un extrait du journal intime de Black (écrite manuscrite très facile à déchiffrer) qui résume, plus en détail, ce qui s'est produit dans l'épisode venant d'être lu, "Providence" donc, est un pur monument. Pour lecteurs avertis, mais quiconque le lira aura du mal à s'en remettre.