Fille à soldats
de François Smith

critiqué par Alma, le 21 juin 2021
( - - ans)


La note:  étoiles
Un lent et long processus de résilience
Un lent et long processus de résilience

Afrique du Sud 1901. La guerre des Boers
Dans un camp de concentration où l'armée anglaise parque les Boers, Suzan, 17 ans est sauvagement agressée et violée par des soldats britanniques. Laissée pour morte, jetée dans la charrette des morts, elle est recueillie dans une grotte par un couple de Cafres qui la soignent grâce à des médecines traditionnelles et l'aident à gagner la ville du Cap. Là, de bons samaritains l'aideront à se reconstruire. Après des études de psychologie aux Pays Bas, commencera alors pour elle une autre vie :celle d'une d'infirmière psychiatrique oeuvrant dans différents pays .
En 1918, envoyée dans un hôpital du Devon en Angleterre pour y soigner les névrosés des tranchées, elle découvre que l'un des malades qui lui sont confiés est l'un de ses bourreaux.

C'est autour de cette scène que François Smith organise tout le roman qui retrace le parcours de son héroïne . Qu'il retrace, ou plutôt qu'il évoque, dans un récit éclaté par touches successives, sans souci de chronologie . La rencontre avec le prédateur a réouvert le traumatisme du viol et ébranlé le fragile équilibre que Suzan avait su trouver .

Se plaçant le plus souvent du point de vue intérieur de la victime, le narrateur soumet le lecteur au parcours d'une pensée qui, en un mouvement pendulaire, oscille entre passé et présent. Des bribes de souvenirs tentent de refaire surface, des images récurrentes, floues de l'agression et de la grotte où elle a été « ressuscitée » reviennent la hanter. Tout ce qui s'est déposé « comme un sédiment au fond de son esprit » se presse, se bouscule, remonte et frappe à la porte de sa conscience.

Un roman, comme le signale la postface, inspiré de la vie remarquable de la psychologue Suzan Nell.
Un roman grave, dense, à la fois troublant et poignant notamment lorsque Suzan se sentant marquée à jamais par le poison de la souillure d'avoir été une « fille à soldats, une putain » souffre à se comporter normalement avec des hommes « je pue la saleté et la pourriture du péché » 
Un roman qui se mérite ! Le lecteur, immergé lui aussi dans le labyrinthe des « eaux troubles de la mémoire » de Suzan, peut se sentir désorienté, au milieu d'épisodes d'une vie partagée entre Afrique du Sud , Pays Bas, Angleterre mais il ne peut que sortir enrichi de cet ouvrage qui explore le lent et long processus de résilience de celles qu'on qualifie souvent de victimes collatérales des guerres et qui gardent dans leur âme et dans leur corps les stigmates de leur avilissement .