Pour l'amour des livres
de Michel Le Bris

critiqué par Poet75, le 17 avril 2021
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
La passion dévorante des livres
C’est en 2018 que fut publié cet ouvrage, le dernier qu’il fit sortir de son vivant, Michel Le Bris étant décédé à La Couyère (Ille-et-Villaine) le 30 janvier dernier. Un ouvrage qui semble conçu idéalement pour parachever le parcours d’un homme dont la vie fut dévorée par la littérature. En guise d’introduction, Michel Le Bris raconte d’ailleurs la grosse frayeur qu’il éprouva, à l’hôpital, lorsque, à la suite d’une opération, il crut, avant d’être rassuré par son chirurgien, ne plus être en mesure ni de lire ni d’écrire. C’est à la suite de cette alarme que lui vint, précisément, l’idée de rédiger un ouvrage à la gloire des livres.
Tous ceux qui ont trouvé dans la lecture un bonheur aussi grand, aussi profond et durable que Michel Le Bris seront sans nul doute en parfaite harmonie avec le contenu d’une telle publication ou, en tout cas, avec son intention. En règle générale, et c’est bel et bien le cas pour Michel Le Bris, il faut chercher dans l’enfance le commencement d’une passion dévorante comme celle que l’on peut vouer aux livres. Dans Pour l’amour des livres, les pages qui sont consacrées à cet âge de la vie sont les plus belles. Michel Le Bris se souvient avec émotion du roman dont il fit le choix lorsque, pour le récompenser de son entrée en 6ème, sa mère lui proposa de lui acheter le livre qu’il voulait : ce fut La Guerre du Feu de J.-H. Rosny Aîné. Né dans un milieu très pauvre (sa mère dut travailler dès l’âge de 10 ans !), Michel Le Bris eut la chance d’être guidé, tour à tour, par deux hommes formidablement bienveillants : son instituteur, d’abord, qui le laissait emprunter, à sa guise, ce qu’il voulait dans sa bibliothèque ; puis un homme qui, passant ses vacances avec ses filles dans le coin de Bretagne où habitait le jeune Michel, le repéra et lui donna la possibilité de pouvoir faire des études.
Michel Le Bris put ainsi, dès son plus jeune âge, guidé par une insatiable curiosité, commencer à se repaître de romans et de poésies. Jack London, Joseph Conrad, Herman Melville, Victor Hugo et d’autres écrivains entrèrent d’ores et déjà dans son panthéon, bientôt suivis par celui qui fut, sans nul doute, son auteur de prédilection, Robert-Louis Stevenson, à qui il consacra une bonne partie de ses recherches et de ses travaux. Passionné par les livres et par la littérature, Michel Le Bris sut aussi merveilleusement transmettre ses connaissances, entre autres en fondant et en animant, à Saint-Malo, le festival « Étonnants Voyageurs ». Dans Pour l’amour des livres, il est également longuement question de ceux dont il fut proche ou avec qui il collabora, comme Maurice Clavel.
Homme de convictions, Michel Le Bris eut l’intelligence et le bon goût de ne jamais se laisser séduire par les sirènes du temps. Il se méfiait, par-dessus tout, de toutes les prétentions et de tous les dogmes. Il s’en explique, par exemple, lorsqu’il parle de la poésie, fustigeant, à juste titre, la fatuité des poètes d’avant-garde et de chapelles. Il leur préfère les intuitions de l’enfance : « les enfants le savent, écrit-il, qu’un mystère est en eux, qui éveille le mystère du monde ». Et c’est encore une enfant qui, rapporte-t-il, donne la meilleure expression de ce qu’est un poème : « les poèmes, c’est des choses qu’on peut pas dire autrement. » Cela vaut mieux que toutes les définitions des sages et des savants, n’est-ce pas ? À propos de la littérature d’une manière générale, Michel Le Bris rappelle aussi combien absurdement les prophètes du structuralisme prétendirent, à partir des années 50, imposer comme un diktat leur approche de la chose écrite : « Jamais peut-être on ne parla tant de littérature, mais jamais on ne l’aima si peu » !
Eh bien, s’il y a quelqu’un à qui ce reproche ne pouvait être adressé, c’était Michel Le Bris, lui qui était capable d’apprécier d’un même élan et avec le même enthousiasme le roman populaire et le roman disons plus ambitieux ou, si l’on préfère, la petite et la grande littérature. Mais en vérité, pour lui, et il avait raison, ces catégories ne comptaient pas. Rien n’interdit d’aimer d’une même ardeur les romans de la Série Noire, les polars, la S.F. d’une part, Balzac et Dostoïevski et les grands écrivains d’autre part. Pourquoi rejeter les uns comme prétendument mineurs, au seul profit des autres ? Michel Le Bris s’y est refusé et n’a cessé d’acquérir des livres nouveaux, au point de ne savoir plus où les mettre tant les rayons de sa bibliothèque en étaient surchargés. C’est ainsi quand on aime passionnément les livres et, du même coup, les librairies. Avec Michel Le Bris, c’est sûr, pas question d’accorder quelque crédit que ce soit à ceux qui, régulièrement, prophétisent la mort du livre. Tant qu’il y a aura suffisamment de passionnés comme l’auteur de cet admirable Pour l’amour des livres, non, cela ne risque pas d’advenir.