L'Antigone manquée
de Catherine Baptiste

critiqué par Kinbote, le 3 avril 2021
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Le non qui donne la vie
"L’Antigone manquée" s’adresse à la parole d’Antigone et est dédié "aux femmes-sages, aux mères-grands et à leurs petits".

La langue d’Antigone est la voix du "non", née du non pour graver un nom sur une sépulture, pour faire de la tombe un lieu nommé, le territoire de la mémoire.

Ce non-là ouvre une tombe

Et bien d’autres fêlures

C’est un oui à la vie, à la vie prolongée, à la vie cabossée, à la vie renaissante et qui vient se greffer sur un non au néant, au nihilisme, à toutes les formes d’autorité et de déni de l’existence comme des libertés.

Parlant du livre,

vous êtes le livre

où se joue, tragique, votre sort de brindille

dans la jacasse de nos prairies.


Ce "non-là" est à l’origine du l’écriture et de toute parole vraie.

On trouve dans ce texte de nombreuses négations qui disent l’inanité de toute action contre la norme. Elles n’en constituent pas moins une tentative d’union du souffle et du cri, de la révolte et de l’insoumission. Cri ténu mais déchirant, comme celui de l’oiseau dont la figure de fragilité et d’envol revient souvent dans le texte.

Oui, j’ose dire le non

plutôt que la fuite

plutôt que le sommeil veule et vain,

plus chair que l’assentiment redoutable

au rien.



Non aux déclins, non aux crépuscules !

C’est un non lancé au ciel pour inhumer l’oiseau dans « une terre de poésie ».


Non, j’ose un non

qui honore

qui déboulonne et qui nomme

un grand non profane

qui ressuscite l’homme

et rend sacré ses non-sens

et allaite l’aube,

et encore…

Non au néant, au nihilisme ambiant, appel au courage, à la lumière de lait pour extraire le vivant de la mort latente qui nous condamne à l’inaction, aux ténèbres.

Dans la dernière section du recueil, l’accent est davantage mis sur la fonction d’enfantement de la femme (car depuis toujours la femme relaie la femme) et ce reproche que l’auteure se fait d’être une Antigone manquée (nous vivons tous l’histoire d’une sépulture manquée). Dans cette mauvaise conscience où se situe son salut, elle trouve la force de donner chair et mots dans la continuité d’une révolte, dans cette voie d’accès à sa vérité.

Car je sens bien que j’existe

En ces mots

Par vous.

De l’exigeante et belle poésie aux éditions Bleu d’Encre portée par une voix qu’il nous tarde de lire et d’entendre à nouveau…

Le livre est ponctué des gravures de Jérôme BOUCHARD.