Eau sauvage
de Valérie Mréjen

critiqué par Sahkti, le 27 août 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Silence face à son père
Valérie Mrejen revient en forme. Après "L'agrume", elle livre une "Eau sauvage" déconcertante, dans laquelle on retrouve ce goût du visuel qui avait plu ou déplu dans l'Agrume. Des petites scènes, des listes de mots et de lieux communs, un alignement sans fin de phrases, le tout assemblé d'étrange manière, tel un collier de perles asymétriques.
Autant prévenir, on aime ou on déteste ces enfilades de mots, il n'y a pas de milieu.

C'est un dialogue entre un père et sa fille, enfin c'est supposé être un dialogue car en réalité, on n'entend que le père, ses reproches, ses grands principes, ses idées. Il veut le bonheur de sa fille, mais c'est maladroit. Il se plaint de ne pas la voir assez à son goût, mais il la juge dès qu'elle est en face de lui. Etouffant. Mais foncièrement gentil. Il aime ses enfants, qui préfèrent se taire, l'écouter, le laisser parler. Car que pourrait-on répondre à ses propos ?

Se suivant sans pour autant se ressembler, ces extraits de conversation sont présentés sans fioriture par Valérie Mrejen qui surprend, une fois de plus, nous laissant nous débrouiller avec ses mots et en faire ce que nous voulons. Elle nous offre la banalité sur un plateau, des expressions employées tous les jours et par tout le monde. Avec la subtilité d'insérer un blanc entre chaque extrait, vide symbolisant le silence, l'émotion, le soupir que l'on garde en soi, le sourcil de dépit que l'on n'ose pas lever, cette main qui voudrait gifler mais qui se terre bien serrée au creux d'une poche...
Autant de sentiments traduits et compris par un simple blanc, rapidement identifié par le lecteur. Tout y est : la ponctuation, la répétition, l'espace, chaque élément à sa juste place.
Et je me dis que tout cela pourrait très bien terminer en un joli moyen-métrage.
L'art de décrire sans écrire.... 9 étoiles

D'accord avec Sahkti. Ce petit livre, minimaliste, est surprenant. J'avais un sourire béat en le parcourant. Ce que je déplore, c'est qu'à peine ouvert, on est à la fin. Ce que j'apprécie, c'est la forme et le ton très innovants.
Ce sont des courts paragraphes, les paroles, les écrits, les monologues d'un père à sa fille.
Et tout passe dans ces petits bouts de lignes sans suite apparente ! On sent la colère, la bêtise, l'ennui, l'amour, le blabla désinvolte et quotidien.... On situe bien le père, juif, Parisien, aisé, aimant, exagérant.
C'est court, oui, mais très abouti.
Et puis je trouve que c'est un bel hommage, de dire tout l'amour qu'on a pour quelqu'un à travers cette forme d'expression. Relever et retranscrire "brut" les paroles, les loisirs de quelqu'un pour le dessiner à travers... C'est fort. A mon sens beacoup plus efficace que des litres de guimauve dégoulinante.

Cuné - - 56 ans - 27 août 2004