L'envol
de Octopus D.

critiqué par Numanuma, le 28 février 2021
(Tours - 50 ans)


La note:  étoiles
En vol
Écrire, c’est viscéral. C’est vital. Question de survie. Et de travail. Parfois, l’inspiration est subite, impérieuse. Virginie Despentes à écrit « Baise Moi » en un été de fièvre créatrice. Pour Flaubert, c’était plus long. Dans les deux cas, il fallait écrire, pas d’autre choix possible. Mettre en mots.

Pour notre auteure/autrice – je ne sais jamais ce qu’il faut dire – il aura fallu 15 ans de travail, une demi vie à peu près, pour accoucher de ce premier roman auto publié. C’est long mais c’est le prix du travail. On imagine des pauses, des hésitations, des découragements, des ratages, des brouillons détruits, des boules de papiers jetées rageusement au sol. Quinze ans pour voir le résultat.

« Tout ça pour débuter par un subjonctif raté dès la première page », dirons certains. C’est vrai, ça fait désordre.C’est le problème de l’auto publication, faut tout faire soi-même. Relire, c’est un boulot de forçat. Traquer l’erreur, déplacer la virgule, remettre cette saloperie de pluriel, ôter un « t » malvenu… Seule. Oui, Octopus est une jeune trentenaire - je pense qu’elle ne m’en voudra pas d’indiquer son âge – qui s’est débrouillée seule pour accoucher de son premier roman. Alors, les erreurs, il y en a. Trop sûrement mais toute personne qui écrit sait ce qu’il en est d’avoir en permanence la tête devant sa feuille. Alors indulgence.

« L’envol ». Le titre est mystérieux, polysémique. De quoi parle-t-on ? Qui s’envole ? L’héroïne s’appelle Solange, un prénom probablement peu courant à Huntsville, comté de Madison, Alabama, sud profond, celui des anti-confédérés, mais la mère de Solange est française et a suivi son futur mari, américain. Détail d’importance que ce déplacement de Paris à Huntsville puisque Solange fera le chemin inverse. La jeunesse se construit par opposition après tout.

Or, d’opposition ici, il n’est pas question. Solange est entourée de ses 3 mousquetaires, Jeff, Théo et Candice. On n’est pas sérieux quand on a 17 ans, du moins du côté de Charleville, mais Solange l’est. C’est un point faible du roman me semble-t-il que cet aspect lisse des personnages. J’ai pensé immédiatement à la cour d’Henri II racontée par Madame de La Fayette : tout le monde est parfaitement beau et intelligent. Solange et ses amis sont inséparables, indéfectiblement liés les uns aux autres, toujours prêts à se soutenir. Les parents de Solange sont aimants même s’ils sont souvent absents. Solange les adore. Tout va bien dans cette petite ville qui me rappelle étrangement la série « Beverly Hills », la première, celles des 90’s. Le soleil brille éternellement dans l’univers de Solange : élève brillante, artiste douée, ou l’inverse, belle fille mais si elle se prétend quelconque – coquetterie d’auteur – fidèle en amitié, soutenue par ses parents…
Difficile de ne pas vouloir s’identifier à Solange. Elle incarne l’optimisme adolescent mais son manque d’aspérité, elle fume et à un moment elle se saoule, ça fait peu, la rend irréelle. Bizarrement, mais c’est la bonne idée du moment, l’amour, évidemment, l’amour, va venir bouleverser cet ordre établi. Difficile d’en dire plus sans déflorer l’intrigue.

On lit assez vite ce roman très visuel. Chaque chapitre est comme un épisode d’une série car les dialogues dominent le récit. Peu d’introspection. C’est fluide. J’ai pu penser aux romans de Brett Easton Ellis pour l’aspect parfait des personnages et les passages sur les fringues. Cependant, chez Ellis, tout est façade. Le fric et les belles fringues, les sourires parfaits et les voitures de sport cachent un malaise, un mal être qui n’a pas sa place ici.
Heureusement, il y a deux personnages qui auraient mérité une place un peu plus grande : la grand-mère de Solange et Isaac, le croque-mort, deux visages du vieux sage, du guide spirituel ici coupée en deux entités masculines et féminines. La grand-mère pour aller de l’avant, Isaac pour apprécier le présent en côtoyant l’inéluctable.

Premier roman résumé de 15 ans de vie, l’auteure y apparaît une fois de manière discrète, qui se lit comme une histoire éternellement réécrite et relue : une histoire d’amour et d’amitié, de pleurs et de joie. Un roman imparfait mais qui vous envole car animé par une féroce envie d’écrire. Roman imparfait mais l’art a-t-il pour objectif d’atteindre la perfection ? Vous avez 4 heures.