Un prince de la bohême
de Honoré de Balzac

critiqué par Monocle, le 28 février 2021
(tournai - 65 ans)


La note:  étoiles
Une nouvelle alimentaire ?
Dinah de La Baudraye raconte une histoire à l'écrivain Raoul Nathan.
Une ancienne danseuse, Claudine, pourtant mariée s'éprend d'un être tout à fait loufoque, La Palférine surnommé le prince de la Bohême.

Balzac aurait fusionné des fragments provenant de trois autres manuscrits pour écrire à "la va vite" cette nouvelle qui lui était commandée par la Revue Parisienne en 1840. Le texte ne fut édité que six ans plus la tard par le regroupement Furne"

Qu'en penser. Dans mon parcours avec cet auteur il s'agit sans doute du texte le plus indigérable !



PERSONNAGES

– Comtesse Dinah de LA BAUDRAYE : née en 1807, femme du monde et femme de lettres sous le pseudonyme de Jan Diaz, « femme supérieure » ou « bas-bleu » selon les époques et les points de vue. Héroïne de La Muse du département, (Furne, avril 1843), elle quitte son mari, et Sancerre, pour son amant Lousteau, et Paris. Arrivée enceinte en janvier 1837, elle y séjourne donc depuis trois ans quand elle rédige la nouvelle au centre d'Un Prince de la Bohème. En mai 1842, elle quitte Lousteau mais une dernière rencontre, l'année suivante, vient donner un second enfant à M. de La Baudraye charmé. Citée comme « femme restée à peu près honnête » par le narrateur de La Cousine Bette en septembre 1847.

– Comte Jean-François DU BRUEL : il a son origine dans Les Employés. On assiste ici à une ascension, programmée par Tullia, sur injonction de La Palférine - Vaudevilliste à la mode, sous le nom de Cursy, il se rallie à la Monarchie de Juillet et reçoit la Légion d'honneur, et devient pair de France.

– Raoul NATHAN : homme de lettres, « charlatan d'extérieur et de bonne foi » selon Mlle des Touches, Béatrix (mai, 1839).

– Claudine Chaffaroux, dite TULLIA (puis épouse Du Bruel) : née en 1799, premier sujet de danse à l'Opéra de 1817-1827. Elle a la même origine textuelle que son mari, mais aura un passé tumultueux, illustré par sa liaison avec le duc de Rhétoré. Artiste célèbre, elle figure dans une douzaine de romans, depuis Un grand homme de province à Paris jusqu'à La Cousine Bette. On lui doit le premier titre de la nouvelle Les Fantaisies de Claudine, fantaisies dont Du Bruel est la victime. Elle fatigue Palférine de son trop d'amour et prend la Croix du Sud pour une décoration.

– Comte Charles-Edouard Rusticoli de La PALFERINE (pour faire bref : il est doté de 7 prénoms) : né en 1812, grand séducteur, il envoûte outre Claudine, la comtesse Laginska dans La Fausse Maîtresse (Le Siècle, décembre 1841) et Béatrix de Rochefide dans la IIIe partie du roman qui porte son prénom (Le Messager, décembre 1844). Grand pourfendeur des bourgeois de 1830, il circule dans les récits, d'anecdote en anecdote, avec allure et insolence.
Une nouvelle pas simple à lire 7 étoiles

Une nouvelle d’une trentaine de pages qui raconte l’histoire d’un « prince de la bohème » qui se joue d’une femme tombée follement amoureuse de lui. La bohème, dans la langue parisienne de 1840, regroupe des espèces de jeunes dandys désargentés, sans travail, sans revenus fixes, des viveurs qui vivent d’aventures et de culot aux crochets des autres et surtout des femmes, des irresponsables qui ne songent qu’à s’amuser et que Balzac attribue la cause de l’existence instable de ces jeunes hommes au gouvernement de gérontocrates de Louis-Philippe alors en place. Et donc, de ce microcosme particulier de jeunes désœuvrés que le gouvernement, par sa politique inepte, selon Balzac, maintient délibérément dans cet état peu recommandable, Charles-Édouard de la Palférine en est le prince, car le plus connu car le plus hardi, le plus culotté, doté du plus bel esprit qui soit et qui n’est jamais pris au dépourvu malgré qu’il ait des dettes et conséquemment des créanciers à sa poursuite.

Alors la construction de la nouvelle n’est pas simple. Une femme, Mme de la Baudraye raconte à un homme, Nathan, l’histoire qu’elle a écrite d’après que le même homme, Nathan, avait raconté à une autre femme, Mme de Rochefide, celle que la Palférine a eu avec Claudine et son récit se reverse vers celle de Tullia, ancienne danseuse, avec du Bruel, vaudevilliste. Le récit sur ces deux couples à la fin se rejoignent et l’on comprend leurs liens entre eux. La chute en est plaisante, mais que de détours tortueux ! Balzac aime la complication et s’en sort toujours très bien, mais là, le lecteur se demande vraiment où il veut en venir. Il y arrive tout de même.

Beaucoup de passages entortillés, au point que Mme de Rochefide elle-même s’écrie ici et là : « Ah ça, mon cher Nathan, quel galimatias me faîtes vous là ? » ou bien « Assez ! Vous me donner des douches à la cervelle ! » et encore « Assez, vous m’agacez les nerfs ! ». Le lecteur, s’il est non averti ou non balzacien, pourrait s’écrier pareillement ! L’auteur est naturellement doué pour l’écriture, qui est pour lui plus un art qu’autre chose, où il y joint beaucoup de ses références culturelles, littéraires et historiques (il y pastiche même Sainte-Beuve, c’est dire !). On sent, à la lecture, que l’élaboration et l’écriture en ont été débridées et faites à la va-vite, qu’il y a des raccords entre des textes différents et réarrangés pour que ça tienne ensemble. Pourtant le résultat en est plutôt étonnamment potable, même (ou malgré que) s’il oblige le lecteur à bien tenir le cap pour ne pas être perdu dans les méandres de l'écriture.

Au final, une nouvelle alambiquée, extrêmement dense, au ressort final intéressant, et réussie tout de même mais elle aurait pu être plus simplifiée de façon à la rendre plus fluide à lire. Là aussi, pas la meilleure nouvelle de Balzac, qui a dû s’amuser à l’écrire plus qu’une autre, selon mon impression.

Cédelor - Paris - 54 ans - 24 octobre 2025