La malédiction des mots
de Evelyne Guzy

critiqué par Débézed, le 20 février 2021
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Histoire d'une famille juive au XX° siècle
Descendante de familles juives ayant subi les terribles épreuves qui leur ont été infligées tout au long du XX° siècles, Evelyne Guzy confie sa plume à une narratrice anonyme pour raconter la morbide épopée de ses ancêtres à travers l’Europe trop souvent antisémite. Elle a choisi la fiction car les sources qu’elle possède, ou qu’elle dépouille dans de nombreux gisements d’archives, laissent quelques béances dans la biographie de ces aïeux de même qu’elle n’a pas écrit à la première personne, sous le nom d’Eva qui figure dans le roman. L’auteure anonyme raconte donc la vie des aïeux d’Eva/Evelyne dans une fiction très proche de la réalité. Elle veut écrire la vie de sa famille à la mémoire de tous ceux qui sont morts dans les différentes épreuves infligées au peuple juif tout au long de ce terrible siècle, elle veut écrire aussi pour ceux qui doivent perpétuer la culture yiddish et surtout pour témoigner que les Juifs ne se sont pas laissé mener dans les camps comme des moutons à l’abattoir. Elle veut montrer, décrie, expliquer leurs combats, leur résistance, leur rébellion…

La narratrice raconte tout d’abord, l’histoire des grands-parents paternels venus de Pologne, de Czestochowa, là où se déroule le célèbre pèlerinage à la Vierge noire, là où le grand-père fabriquait des casquettes, qu’il a fuie avec la grand-mère issue d’une famille terrienne venue de la région de Vilnius. Il a quitté la Pologne après avoir défendu son pays les armes à la main malgré les mauvais traitements infligés par ses collègues militaires et après avoir assisté à quelques pogroms particulièrement sanglants. Il est arrivé à Charleroi où, après bien des épreuves, il a pu créer un commerce prospère jusqu’à ce qu’un résistant communiste lui dise de filer vite avant que les SS débarquent chez lui et l’embarquent pour un retour morbide en Pologne. Eva a peu de souvenir de ce grand-père falot, sans grande envergure apparente, lors de ses recherches, elle découvre un grand-père discret mais courageux et une grand-mère un peu rustre mais volontaire et tenace qui se sont battus, ensemble et avec détermination, pour exercer leurs activités commerciales et artisanales mais surtout pour donner la meilleure instruction possible à leur fils.

Ce fils qui est leur seul enfant, a connu la débâcle au cours de laquelle, il a traversé seul la France du nord au sud après avoir égaré ses parents dans l’indescriptible cohue mais qui, revenu à la maison a pu poursuivre ses étude pour devenir un brillant ingénieur. Caché dans une institution religieuse catholique pendant la guerre, il en sort affecté par une sorte schizophrénie judéo-catholique qu’il conservera toute sa vie. Ayant épousé la fille d’un grand résistant juif, il a honte de ses parents petits commerçants médiocres, à son avis. Eva sera la petite-fille de son grand-père maternel beaucoup plus que celle du pauvre petit commerçant.

Le grand-père maternel, Juif de Pologne lui -aussi, a vu sa famille décimée, il s’est engagé très tôt dans la résistance où il est devenu un personnage important, encore plus important après la guerre au moment d’écrire l’histoire mais seulement jusqu’à ce qu’un historien juif et communiste, lui, mette en doute la véracité des faits de résistance qu’il s’attribue. Eva ne pourra jamais découvrir la vérité, plusieurs témoignages non concordants circulent, chacun cherchant à exploiter la guerre, ses misères, ses morts et les faits glorieux pour étayer sa propre théorie et sa propre vision de l’évolution du judaïsme avec la création de l’état d’Israël.

Eva a laissé des blancs dans son récit, ils sont peut-être encore plus importants que tout ce qu’elle a découvert car ils interrogent et, ainsi, évitent que l’oubli gomme ceux qui ont participé à cette terrible épreuve. Mais, avec sa petite-fille, elle pourra toujours témoigner que « Nous ne sommes pas des moutons qu’on mène à l’abattoir. Nous sommes un peuple de mémoire ».