Comment dire ce peu
de Claude Kottelanne

critiqué par Eric Eliès, le 3 janvier 2021
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Recueil d'une grande densité, méditatif et contemplatif, bruissant d'une vie secrète
Les éditions de l’Arbre, que j’ai découvertes il y a quelques années en même temps que l’œuvre de Jean Le Mauve, publient peu et à peu d’exemplaires mais leur catalogue est riche de quelques textes merveilleux, notamment certains recueils d’Ilarie Voronca (poète roumain qui s’exila en France dans les années 30) qui étaient devenus introuvables et que j’avais longtemps désespéré de trouver. Ils ont aussi publié quelques poètes méconnus, comme Claude Kottelanne dont je viens de lire et relire le recueil « Comment dire ce peu », que j’avais acheté l’an dernier chez un bouquiniste. Cette édition est en fait la réédition, enrichie de 8 poèmes (non précisés dans le recueil), du recueil publié en 1967 dans la collection "la fenêtre ardente" sous la direction de Gaston Puel (préfacier de la présente édition).

Cette plaquette, qui mêle poèmes en vers libres et courts textes en prose, porte l’empreinte d’une écriture poétique qui est, à la fois, d’une grande sobriété formelle et d’une grande richesse d’images métaphoriques aux accents surréalistes. Ignorant tout de Claude Kottelanne (décédé en 2017), j’ai découvert sur internet qu’il fut très engagé comme militant libertaire et anarchiste, ce qui ne se ressent pas à la lecture de ces poèmes dont l’écriture très maîtrisée se nourrit d’un rapport intime à la nature, sans évocation d’un combat politique ou même d’aucune revendication sociale. Peut-être comme chez ces « hommes doubles » qu’évoquèrent Aragon et Pasternak, la poésie fut pour Claude Kottelanne le moyen d’expérimenter, pour soi-même, à l’écart des foules, les nuances subtiles d’un rapport au monde que les vociférations bruyantes de la lutte politique ne pouvaient pas exprimer.

En effet, à rebours du militantisme, cette poésie semble hantée de contemplation et de solitude. « Ce peu » qu’évoque le titre, est à la fois un presque rien et l'essence de tout ce qui importe aux natures contemplatives : le poids d’une disparition et d’un silence né de l’absence, l’évanescence de l’instant, la présence muette de la nature et des choses élémentaires (une fleur, la mer, un oiseau, le ciel, un arbre…), la sérénité de la pluie, l’émoi né du désir ou du rêve…

Comment dire ce peu
Ultime lacération maison sans clé
Notre soif notre faim sertie d’églantines

Comment dire ce peu
Seconde suicidée belle passante
Cette écume frileuse que la vague a crachée

Comment dire ce peu
Face à la mer ou je vacille
Ce mirador à l’avant-poste des arbres

Comment dire se peut
Quand la nuit est un grand nageur
Qui glisse sur les tempes
D’un homme qui marche.

Il y a une violence sourde dans ces poèmes, où affleurent le sang et la mort. Dans son désir d’une parole vraie, cette poésie exigeante assume de refuser les compromis et les faux-fuyants. Ainsi, dans les premiers poèmes du recueil, le poète rend hommage à sa mère avec une franchise presque dérangeante dans sa crudité charnelle, par l’évocation du lien biologique qui double l’amour filial :

A ma mère


Cicatrice du cri sa trace m’est familière
Le souvenir y étale une clairière de sang

Dans l’argile de ton sexe je fus cette racine
Que mon père sépara de sa gangue
(...)

Néanmoins, ce qui prédomine, c’est avant tout l’évidence d’un intense désir d’être que les mots, malgré leur impuissance à dire (« comment dire » étant déjà l’aveu d’un échec) offrent en partage fraternel au lecteur de passage, ami ou anonyme, dont la présence invisible s’ajoute, comme une ombre portée, à celle du poète dans ces poèmes parsemés de « je », « tu » et « nous ». Même si les mots se refusent ("Entre la Marne et moi le langage flotte comme une noyée qui n'a pas la parole. / Qui me terrorise"), même s’ils peinent à être autre chose que des borborygmes :

Donnez-moi le premier mot, le mot de passe, la lèvre et le baiser, l’étroit sentier du sang où circulent des étoiles comme autant de pulsations qui explosent au ciel du devenir.
Que je secoue enfin les sacs à main dans les banlieues du désir, qu’il en sorte les mots imprononçables de lettres obscènes, des grognements de lettrés, des odeurs d’urine, des bouches de succubes, des baves de jocondes, des enfants du miracle.

ils rendent grâce à la beauté secrète du monde, qui se dévoile à l’écart des hommes (« une fleur dans une forêt vierge »), et rendent audibles la musique du monde, comme un chant que le silence enveloppe de son écrin et éternise dans l’instant :

Chanson de l'Oise


Sous ta fraîcheur musicienne
Une mémoire neuve

La harpe de l’herbe
Le piano des rocailles

Fragile libellule de la seconde prolongée
Sur la vielle de l’île je retiens ta ferveur
Comme un souffle sur la braise du sang

Souffle retenu comme un silence recueilli... Il n’y a aucune dimension religieuse dans cette poésie, où Dieu n’est évoqué qu’une seule fois, négativement (« je me suicide chaque jour d’une balle dans la tête de Dieu dans l’odeur pestilentielle des mots refusés ») mais le recueil est gravide d’une méditation permanente et solitaire, comme si l’auteur cherchait, via le mûrissement silencieux des mots (« voilà ce qui se dit de l’instant : papillon bleu, ailes closes, écrin de la patience qui œuvre à sa perle sage »), à communier avec les choses élémentaires (« laissez-moi dormir dans le ventre et la confidence des pierres ») en abolissant les frontières qui nous en séparent pour susciter une sorte d’épiphanie de la présence du monde et pénétrer – terrestrement (la dimension charnelle n'est pas éludée) - dans un Eden retrouvé :

Gorgé de lait gavé de fruits
Source profuse épure de l’âme
Ce peu de lumière qu’il me faut
pour m’alléger et transparaître

Qui fut Claude Kottelanne, dont la principale mention biographique est celle du dictionnaire des anarchistes sur le site Maitron ? Quel était le sens de son combat militant et libertaire ? Fut-il anarchiste convaincu et anachorète contrarié ? A la lecture de ce recueil, il me semble que son combat était sans aucun doute porté par un désir d’être et de vivre dans la vérité du monde, vérité qui se révélait dans la beauté évidente et soudain devenue accessible des choses simples, et non par adhésion intellectuelle à des concepts de lutte ou à un engagement politique.

Le jour


Vivre simplement vivre
c’est sans doute cela

L’explosion – rose et blanc -
d’un magnolia

Son évidence pour le passant
le plus humble – soudain charmé -
réconcilie la lumière et le sang
leur échange propice

Qu’attendez-vous pour prolonger la réalité
pour vous couvrir de ses fleurs

Peut-être prolonger leur parfum à vos narines
leur couleur à votre œil si souvent aveugle

Vous passez
Une seconde vous interroge
que vous n’écoutez déjà plus