Dans les roues
de Bruno Fern

critiqué par Débézed, le 1 décembre 2020
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
A bicyclette ...
Bruno Fern fait partie de ces écrivains qui travaillent assidûment à la recherche de formes nouvelles d’expression afin de proposer des textes à entrées multiples, des textes qui permettent à chaque lecteur de trouver, en fonction de sa culture, de sa formation et de ses acquis divers, un sens personnel aux textes qu’il leur dédie. « … mieux vaut s’y préparer au cas où / (…) / chaque lecture en cacherait une autre que / ça ne finirait pas ici…). Ainsi, dans ce dernier opus, il présente de la poésie en prose rédigée en paragraphes de trois lignes comme un tercet en poésie classique. Cette suite de paragraphes, comme une suite de strophes en poésie classique, compose un long poème construit avec ces pseudos tercets.

Ce texte, moi, je l’ai lu comme une course cycliste et même au début comme une course sur piste, comme celle dont un jeune Occitan, Benjamin Thomas, presque voisin de l’éditeur de ce livre, est devenu le Champion du monde il y a quelques années. Ces strophes qui se succèdent avec une pointe de vitesse au moment de citer un auteur plus ou moins célèbre, de placer un aphorismes, un jeu de mots ou un calembour comme les sprints, tous les trois tours, qui émaillent « l’Américaine », spécialité cycliste sur piste dont Benjamin est un grand champion. Mais, je crois que l’auteur cherche plutôt à nous emmener, « à bicyclette », sur les routes de campagne : « Façon de faire le poème autrement qu’en le rendant cyclable en le polissant pour qu’il roule pas que sur la jante … ».

« … paraît qu’en fait tout en ce bas-fond n’est qu’un faux plat, ce qui explique qu’il trans / Pire en pire : sous les aisselles visiblement d’est de /Puis qu’’il a tenté une échappée en voulant se rattraper /Pas sûr d’y être arrivé ou a-t-il simplement oublié qu’il était déjà, à mariner sous son maillot persévérer dans son être en pédalant tant qu’il peut ». L’auteur utilise le langage du vélo pour écrire son texte et même le folklore qui l’entoure, « … Ceux qui refont le Tour sur la piste à partager », les vrais champions qui parlent de vélo comme d’autres parlent de ballon sans jamais pédaler. Un texte tricoté comme l’ascension d’un col, comme un sprint ou encore comme un tour de piste. L’auteur et l’éditeur ne m'en voudront pas, je suis un passionné de courses cyclistes que je pratique dans mon salon sans jamais quitter mon sofa.

Mais, ce texte n’est pas que vélo, c’est une expérience sur la forme, sur la ponctuation et sur l’emploi des majuscules. C’est aussi une source, un réservoir, de jeux de mots, de mots d’esprits, de calembours, d’expressions populaires, de citations, d’aphorismes, et… :

« … il sprinte illico avec le zef dans le dos ça aide ça roule ma poule, y compris dans les nids d’icelle »
« pas moyeu de moyenner avec… », « saccade ou ça passe en / vélo c’est p’tête juste dans la tête le ptit »

L’auteur n’a pas oublié le monde des sons qui résonnent dans son texte : « dans le phrasé ça résonne comme sous le plancher ».

Et, à la distance d’une étape d’Espelette, il n’a pas oublié la petite pointe de poivre qui donne le piquant indispensable : un petite touche de sensibilité BDSM : « … à rendre le sang visible après un temps suffisant de suspension ça consiste / à souligner la blancheur de l’épiderme dans ces zones où les marques restent. »

L’auteur l’a suggéré, chaque lecture pourrait en cacher une autre, celle-ci est la mienne, c’est mon « jeu de pensée » il n’« y a pas à discutailler : c’est aussi réversible qu’une veste c’est voilé pour des raisons x »