La traque
de Sacha Filipenko

critiqué par Reginalda, le 29 novembre 2020
(lyon - 57 ans)


La note:  étoiles
Une mécanique implacable et glaçante
Ma lecture récente des « Petrov, la grippe, etc. » d’Alexeï Salnikov m’a incitée à jeter un autre œil dans le catalogue russophone des éditions de Syrtes et mon choix s’est porté sur « La Traque » de Sacha Filipenko. Judicieuse décision, si je puis m’autoriser cette autocongratulation qui ne porte guère à conséquence.
Comme son titre peut aisément le donner à penser, « La Traque » relate la persécution impitoyable d’un journaliste, Anton Piaty, dont le tort a consisté à s’en prendre aux intérêts d’un individu qui, mafieux camouflé derrière un Tartuffe aux convictions quasi sectaires, est devenu un personnage public ayant l’oreille du pouvoir politique.
Cette traque impitoyable captive à plus d’un titre. D’une part en tant que réussite narrative, car Sacha Filipenko a choisi un mode de narration très original, inspiré de la structure de la sonate, qui lui permet d’insérer des récits secondaires dans son récit principal et de lui donner une inéluctabilité formelle qui corrobore celle de l’intrigue.
Par ailleurs, la cruauté du sort réservé au protagoniste a de quoi fasciner elle aussi, non qu’on se délecte sadiquement de ce qu’il subit (d’autant moins qu’au fond, c’est avec Piaty que s’identifie le lecteur), mais parce qu’on a l’impression de mieux comprendre le fonctionnement des lynchages et le côté abominable de la psychologie des masses. Car si ce roman vise au premier chef le fonctionnement de la Russie actuelle, le lecteur y trouvera aussi nombre de situations caractéristiques de l’Europe occidentale contemporaine, en particulier en ce qui concerne l’influence délétère des réseaux sociaux.
Enfin, il y a des histoires de famille dans ce roman et leur développement contribue aussi beaucoup à l’intérêt que prend le lecteur à « La Traque ». L’opacité des individus les uns aux autres et le côté aussi poignant qu’inutile des confessions me sont apparus comme des richesses supplémentaires de ce court roman dont le petit nombre de pages n’ôte rien à l’écho qui n’a cessé de résonner en moi après que j’en ai tourné la dernière page.