Le bûcher
de Perumal Murugan

critiqué par Dervla3012, le 11 novembre 2020
( - 18 ans)


La note:  étoiles
Un roman qui prend l'amour à contrepied
De quoi ça parle ?

Kumaresan et Saroja s’aiment passionnément. Les deux jeunes Indiens se sont rencontrés à la ville : l’une s’efforçait à l’époque de tenir la maison familiale en ordre et de faire la cuisine pour son père et son frère, tandis que l’autre s’échinait à mettre du soda en bouteille avant de le livrer aux différentes petites baraques du quartier.

Leur rencontre pose immédiatement les bases d’une relation très forte et quelques mois de fréquentations discrètes ont achevé de consolider cet amour naissant. À présent, il est impensable pour les deux tourtereaux d’envisager un futur l’un sans l’autre. Par conséquent, Kumaresan souhaite à tout prix présenter son aimée à sa mère et à son village, histoire d’y asseoir la place de son âme-sœur et de rendre publique cette relation fusionnelle.

Le plan d’action est donc simple : le mariage, le voyage, les présentations, la bonne entente et le début d’une nouvelle vie idyllique. Tout a été vu et revu par les deux protagonistes. Malheureusement, une petite donnée de ce projet continue à poser problème : la catégorie sociale. Dans cette partie de l’Inde encore très conservatrice, les castes ne se mélangent pas, ne se fréquentent pas et jamais au grand jamais, elles ne se marient entre elles. Or, Saroja et Kumaresan n’appartiennent pas à la même caste : la première vient d’une famille aisée de la ville alors que le second a toujours vécu dans les champs, sous le soleil écrasant de la campagne.

Il en faudra pourtant plus pour décourager les intrépides amoureux. Les fiançailles s’accomplissent dans un petit temple peu regardant, puis la jeune mariée prend la poudre d’escampette, s’enfuyant avec son amant vers ce destin incertain.

Cette escapade les conduira tout d’abord sur un rocher sec et hostile de la cambrousse où les vies ne sont que labeur abrutissant sous un soleil de plomb. C’est là que se déroulera la rencontre avec la famille… sur un mode relativement échauffé. Le couple sera en effet accueilli par les cris et les lamentations de la mère de Kumaresan qui restera, à partir de là, plongée dans une litanie de chants mortuaires et de pleurs d’agonie. Ici, chaque habitant se soumet sans réfléchir aux coutumes ancestrales et l’étau des bonnes manières fait loi, étouffant quiconque tente de s’en dépêtrer.

Terrorisée par cet accueil si… peu chaleureux, Saroja supplie immédiatement son mari de la ramener chez elle. Néanmoins, il refuse : il est confiant que tout se passera bien, il faut juste un peu de temps pour que les gens s’habituent à la nouveauté.

L’homme aurait pourtant dû écouter sa femme. Au Tamil Nadu, hameau perdu au fin fond de l’Inde, on ne se défait pas de siècles de coutumes en un claquement de doigts. Surtout si on est une jeune amoureuse inexpérimentée.

Mon avis :

Les histoires d’amours ne sont pas trop ma tasse de thé. Pour tout dire, je DÉTESTE la Romance (un article viendra très prochainement sur le sujet). Le saviez-vous ? (Maintenant, oui. *Hum*) Et je n’aime guère davantage les romans à l’eau de rose.

C’est pourquoi, Le Bûcher ne m’a pas tout d’abord beaucoup attirée. Une relation interdite ? Déjà vu si je puis dire. Seule la perspective de conflits sociaux portant sur les castes et les libertés en Inde avait l’air intéressante.

Toutefois, comme il est toujours bon de sortir de sa zone de confort afin de découvrir de nouveaux styles d’écriture, je me suis jetée à l’eau. La lecture ne sert pas qu’à assouvir nos fantasmes après tout, et il faut bien parfois se donner un coup de pied aux fesses. De plus, ce roman est court (environ 200 pages), ce qui promettait de limiter la souffrance, le cas échéant (car non, je n’arrive pas à abandonner un livre, même s’il ne me plaît pas).

Disons simplement que ce fut une bonne expérience ! J’ai été surprise, TRÈS agréablement surprise. Je lui ai attribué une note finale de 4 sur 5, ce qui désigne pour moi une très bonne lecture.

Contexte socio-spatial :

Le lieu et l’époque choisis pour cette histoire sont l’un des principaux atouts du roman. Je l’ai dit plus haut, ce sont même au départ les uniques éléments qui m’y ont attirée.

J’apprécie énormément la dénonciation que fait l’auteur au travers d’un sujet banal comme l’amour. Au cours d’une apparente relation entre une jeune femme et son amant, nous découvrons un environnement conservateur, sexiste et primitif.

L’époque aussi est adéquate : elle nous montre que les coutumes sont toujours fermement implantées en certains endroits du monde. Les libertés ne sont pas encore acquises partout. Et heureusement, l’auteur a su ne pas succomber à la niaiserie et à l’optimisme de certains romans « feel-good ». Il ne nous quitte pas en nous remplissant la tête de messages d’espoir fort peu réalistes, tel que : « Nous devons continuer à nous battre ! La libération est proche ! »

Ici, la narration constate tout simplement les faits. Le lecteur peut en tirer la conclusion qui lui plaît. Mais force est de constater que la vie n’est pas toujours un conte de fées.

Les personnages :

C’est ici qu’intervient l’unique petit bémol de ce récit. Les personnages, Kumaresan et Saroja, sont inconsistants.

Le jeune homme n’existe presque pas. Son enfance et sa vie sont à peine évoquées, alors que cela aurait pu être très intéressant pour nous autre lecteurs relativement ignorants de l’Inde et de sa réalité. Sa présence est rapportée uniquement à travers les yeux de sa femme qui est aveuglée par son amour, et donc de source peu fiable.

Saroja quant à elle, se comporte comme une enfant : elle chaparde, pique des crises et agit sans réfléchir aux conséquences. Je peux comprendre qu’elle soit apeurée et déstabilisée par la situation critique dans laquelle elle se trouve, mais de là à agir comme une gamine de dix ans, c’est à revoir…

Thème principal :

L’amour donc… J’ai déjà évoqué le sujet, mais je vais tenter ici d’ordonner mes propos. Soit, quelle est la structure d’une histoire d’amour « classique » dans la littérature sentimentale ?

Deux personnes se rencontrent. Parfois elles s’éprennent dès le premier coup d’œil ou bien elles décrètent pour une quelconque raison X qu’elles sont les pires ennemis que le monde ait jamais connu (Il fallait bien varier un peu les choix, sinon on allait quand même sacrément s’ennuyer…).

Au fur et à mesure, les deux tourtereaux comprennent ou découvrent qu’ils sont véritablement faits l’un pour l’autre et ils s’en vont vivre une vie parfaite dans un monde parfait. Ouf ! Ces histoires racontent ainsi l’évolution d’une relation, dont le suspense intenable tient en cette question simple : le couple se formera-t-il et restera-t-il ensemble ? (Je vous rassure, ils finiront toujours par s’embrasser à pleine bouche en jurant de ne jamais se séparer. Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles). Ce schéma narratif est ensuite répété inlassablement.

Néanmoins, si nous calquons ce schéma sur le récit de Perumal Murugan, nous pouvons constater que les choses ne collent pas : l’histoire débute alors que les personnages s’aiment déjà et entament leur vie commune. Plus précisément, nous suivons plutôt la vie du petit village dans lequel ils viennent d’arriver, nous voyons leur quotidien au milieu des traditions et des coutumes.

Autrement dit, ce livre n’est pas une histoire d’amour à proprement parler. C’est une dénonciation des castes, des contraintes pesant sur les femmes, des restrictions du mariage.

Grâce à cette ambiance si singulière et au contrepied avec lequel Perumal Murugan prend l’histoire d’amour, son roman s’enrichit d’autant. Et je n’ai pas regretté un instant d’être sortie de ma zone de confort.