Ne m'appelle pas Capitaine
de Lyonel Trouillot

critiqué par Marvic, le 9 novembre 2020
(Normandie - 65 ans)


La note:  étoiles
"La pimbêche et le vieux con"
Il existe des quartiers, distants de quelques kilomètres seulement, qui s’ignorent totalement. C’est le cas à Port-au-Prince, pour les habitants de Montagne Noire, quartier des riches, des dirigeants, et ceux du Morne Dédé. Quartier qui se délabre, où les familles ont quitté, abandonné, délaissé les maisons.

Aude habite la Montagne Noire où elle poursuit des études par correspondance pour devenir grand reporter ; son premier stage a pour thème une différence.
Pour la première fois, elle va quitter Montagne Noire pour se rendre au Morne Dédé afin d’y rencontrer, sur les conseils de son oncle Antoine, le paria de la famille, le Capitaine.
La rencontre s’avère difficile pour la jeune fille, élevée dans un monde incroyablement fermé, codé, immuable, "plus dépaysée qu’à Paris ou à New-York".
"C’était la première fois que je parlais à des personnes d’un milieu différent du mien sans être en position de chef... la première fois que je m’inquiétais de l’effet de mes propos sur leur destinataire."

La rencontre commence sous le signe de l’injure, entre cette jeune femme élevée dans une bulle et ce vieil homme solitaire, porteur de l’histoire de son quartier, de sa ville, de son pays. Et de son passé, ses amours, ses trahisons, ses espoirs et désespoirs.
Francis Morin était le professeur d’arts martiaux du Morne Dédé; une élève, qui lui donnera le nom de Capitaine, marquera toute sa vie.
Au fil de ses improbables rencontres, des monologues du Capitaine, de ce "vieux type qui a la bouche pleine de souvenirs, dont la bouche est un lieu de passage, une collecte de destins perdus dans les éphémérides", Aude découvre un monde inconnu où ses règles n’ont pas cours. "Dans mon milieu, tout se répare avec des cadeaux" ; comment fait-on pour choisir, pour échapper au destin tracé ?
"Une pimbêche et un vieux con, un qui n’allait plus nulle part, l’autre une indéfinition préoccupée d’elle-même".
Et puis d’autres personnages finiront par l’adopter, Jameson, le garde du corps chargé par le Capitaine de veiller qu’Aude puisse circuler et arriver sans encombre à la maison bleue, Magda qui la surnomme la Blanchette, tant la couleur de peau est une marque d’appartenance dans ce pays...
Et Laure pourra aussi déposer ses blessures, son ami qu’elle a laissé partir, son frère Maxime, drogué, handicapé psychique.

Un roman touchant d’une rencontre où chacun va faire un pas vers l’autre, prouver que deux mondes peuvent se rencontrer, se respecter. Il y a un peu du Petit Prince dans ce livre là.
Seul reproche : une quatrième de couverture beaucoup trop bavarde ! Je ne regrette pas de ne pas l’avoir lue avant d'entamer ma lecture ; les secrets du Capitaine méritent d’être écoutés, les changements de la jeune femme méritent toute notre attention.