Les nuits de Strasbourg
de Assia Djebar

critiqué par Pucksimberg, le 13 octobre 2020
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
9 nuits à Strasbourg, amours fulgurantes, théâtre et souvenirs enfouis
Neuf nuits. C’est le nombre de nuits que passera Thelja avec son amant François dans la ville de Strasbourg. Lui est veuf, elle a laissé Halim son époux afin de poursuivre ses études dans la capitale française. François a vingt ans de plus qu’elle. Ces deux personnages vont s’aimer avec ardeur. Ils partageront ces neuf nuits avec une liberté totale. Loin de l’Algérie et de Paris, elle découvrira des éléments sur elle-même et ses proches. François, lui, réveillera le passé de Strasbourg. A ces moments sexuels évoqués dans des chambres d’hôtel différentes chaque nuit, s’ajouteront les multiples discussions avec d’autres personnages comme Eve, cette juive algérienne, amie d’enfance de Thelja qui est en couple avec Hans un allemand dont elle attend un enfant. Comme les dialogues portent parfois sur le statut de Strasbourg pendant la seconde guerre mondiale, l’évacuation des habitants pendant presque une année, l’union entre cette femme juive et cet allemand interroge. Il y a aussi Jacqueline qui met en scène une « Antigone » moderne jouée par Djamila dans la banlieue de Strasbourg. D’autres personnages seront rencontrés qui enrichiront les réflexions de Thelja. Ils sont tous liés les uns aux autres.

C’est le premier roman d’Assia Djebar que je lis et je suis vraiment séduit par son écriture, par la richesse de sa langue et par la construction de ce roman. L’écriture est poétique et puissante grâce à ces métaphores. Narrer neuf nuits d’amour aurait pu tourner au récit grivois gratuitement. Ce n’est pas le cas. La langue d’Assia Djebar est belle et imagée, sans tomber dans une pudeur hypocrite. Certains passages sont crus. Sa façon de dépeindre le désir est juste tant dans les ressentis dépeints que dans le style. La construction du roman est réfléchie. Elle joue avec des passages en italique, alterne les points de vue narratifs, évoque des scènes dans lesquelles les personnages se rencontrent et discutent et des passages introspectifs où Thelja se recentre sur ses réflexions.

La ville de Strasbourg est aussi un personnage de ce roman. Le lecteur qui a déjà déambulé dans les rues de cette ville retrouvera un peu l’atmosphère nocturne qu’il a pu connaître. Cette ville frontalière se trouve en équilibre entre plein de choses et l’écrivaine se plaît à établir de nombreux liens à ce sujet. Elle n’hésite pas non plus à transmettre des informations sur cette ville au lecteur. Ce dernier point a pu me sembler parfois un peu trop appuyé comme s’il fallait intégrer le maximum d’éléments culturels sur la ville. Il n’en demeure pas moins que ces précisions sont intéressantes.

Le choix d’Antigone n’est évidemment pas anodin et soulève quelques questionnements. Assia Djebar a écrit un roman sur le désir, sur une femme moderne libérée, sa langue est elle aussi libérée et formule avec franchise ce qu’elle souhaite. Ce brassage de cultures est intéressant aussi car il rapproche parfois des mondes ( religions, origines … ) qu’il est parfois difficile d’associer. Ces neuf nuits renouent avec les mythes antiques, avec la tragédie, avec ce qui au fond définit notre humanité.