Le Livre de M
de Peng Shepherd

critiqué par Cédelor, le 19 août 2020
(Paris - 52 ans)


La note:  étoiles
M comme médiocre
« Le livre de M ». Voilà un titre qui invite au mystère, à la mélancolie, aux souvenirs à la désolation. Et de fait, après l’avoir lu, il y a effectivement tout cela dans ce roman. Et j’aurais aimé rajouter aussi, pour faire un bon jeu de mots, que c’est un livre de Merde… Mais ce serait trop injuste. Ce livre n’est pas totalement merdique, ni même complètement mauvais. Quelle appréciation lui accorder alors ? en M, hein ! Moyen, médiocre, minable, malheureux, passable… ah non, ce dernier mot est en P ! Allez, je choisis le qualificatif de médiocre, qui me paraît lui convenir le mieux pour mon ressenti de ce livre.

Vous l’aurez compris, je n’ai apprécié que très modérément ce premier livre d’un nouvel auteur américain de science-fiction, Peng Shepherd.

C’est un roman de science-fiction de type post-apocalyptique. La civilisation humaine s’est effondrée à la suite d’une épidémie mondiale (toute ressemblance avec une épidémie existante n’est que pure coïncidence!) de disparition d’ombres humaines, qui entraîne la disparition progressive de la mémoire et à terme la mort (ben oui, si on finit par ne même plus se rappeler où se trouve sa maison, qu’il faut se nourrir, boire, etc…). Postulat intéressant et original. Mais la perte de la mémoire a aussi pour corollaire l’apparition de pouvoirs surnaturels, le plus souvent involontaires, genre faire s’écraser les maisons les unes contre les autres, déplacer les lacs d’un endroit à un autre, faire pousser des ailes de moineaux sur le front d’un cerf, et autre joyeusetés et non des moindres).
Dans ce cadre, l’action se déroule entre Boston et la Nouvelle-Orléans en passant par Washington, où se meuvent 4 principaux personnages, à travers lesquels le roman sera raconté de leurs points de vue successifs dans des chapitres qui portent leurs noms. Il y a là Orlando Zhang, surnommé Ory, un américain d’origine chinoise, qui a gardé son ombre, qui est parti à la recherche de son épouse, Maxine, surnommée Max, une afro-américaine, qui a perdu son ombre et s’est enfuie de leur refuge. Il y a Namhaz Ahmadi, surnommée Naz, une iranienne venue étudier aux Etats-Unis et Celui qui rassemble, un homme frappé d’amnésie totale suite à un accident de voiture juste avant que l’épidémie de perte d’ombre ne débute. Chacun d’eux va devoir survivre à sa façon dans ce monde effondré et cauchemardesque, où les hommes, avec ou sans ombres, sont en guerre les uns contre les autres et où le danger peut survenir de n’importe qui. Pourtant, certains s’allieront et lutteront ensemble, avec un espoir : rallier La Nouvelle-Orléans où paraît-il Celui qui rassemble….

Maintenant, voici mon avis et pourquoi il qualifie de médiocre ce roman. Cela fait penser à une histoire de zombies, avec tout ce qui se rapporte au genre : hordes errantes, magasins pillés, road-movie sanglants… à la différence que les zombies sont remplacés par les sans-ombres et que ces derniers ne sont pas forcément « les méchants » mais sont surtout des victimes. De ce point de vue, c’est une idée originale qu’a eu là l’auteure. Seulement, le traitement qu’elle en a fait n’est pas à la hauteur. Il y a trop d’incohérences et de deus ex-machina qui heurtent le bon sens du lecteur. Certes c’est un roman de SF et il faut être prêt à accepter tout ce qui extraordinaire, mais il faut qu’il y ait un minimum de cohérence et de crédibilité dans la construction et le déroulé de l’histoire. Et la psychologie des personnages ne s’ajuste pas toujours bien dans les dialogues qu’ils ont entre eux. Il y a beaucoup de petites imperfections de style et de narration. Quand j’ai commencé à lire, cela m’intéressait, puis à mesure que je progressais dans le récit, mon intérêt diminuait. Au fond, seul le personnage de Max m’apparaissait le plus intéressant, le plus sensible, le plus touchant. Ce sont les chapitres où elle raconte son périple en s’adressant à Ory, l’homme qu’elle aime, dans un magnétophone qui sont les plus réussis, c’est là où l’auteur a donné la meilleure facette de son talent, celle de raconter à la première personne de manière introspective le parcours de cette sans-ombre. Si le livre avait pu se réduire à elle seule, j’aurais pu dire qu’il aurait été réussi. Hélas, les autres personnages, racontés à la 3ème personne et leurs péripéties ne sont pas du même niveau, à mon grand regret. Reste que la chute est bien trouvée et est inattendue ! Il y a aussi de cela d’intéressant, grâce au personnage de Celui qui rassemble, qu’on apprend des choses sur la difficulté à vivre après un accident où l’on a perdu la mémoire. Vous imaginez, ne plus reconnaître personne, ni même sa femme, ses enfants, les gens qu’on a connus avant l’accident et qui sont tous devenus des inconnus. C’est une douleur, non seulement pour la famille et les amis, mais aussi pour celui qui en a perdu toute mémoire et qui doit vivre avec. Se refaire une nouvelle vie, se faire de nouveaux souvenirs sans aucun rapport avec son ancienne vie qui est comme tombée dans le néant. Cela permet de mieux faire comprendre l’importance de la mémoire dans la vie d’un être humain.

Hormis ces éléments positifs, je dois donc quand même dire que c’est un roman plutôt raté, d’après moi. Il ne faut pas oublier que c’est un premier roman, assez conséquent quand même, et je pense que Peng Shepherd est une auteure qu’on peut qualifier de prometteuse si elle peut s’améliorer. Elle a fait un livre qui a le mérite d’exister et dans lequel tout n’est pas à jeter. On peut regretter qu’elle n’ait pas donné d’explications à l’épidémie de perte d’ombre qui a affecté l’humanité, ni comment il se fait que la perte d’ombre entraîne la perte de souvenirs et l’apparition de pouvoirs surhumains. Mais peut-être ce roman n’est que le premier tome d’une série ? En tout cas, il y a de la place pour une suite, que je ne lirai probablement pas si elle devait sortir un jour. Non que je me suis forcé à lire celui-là, mon intérêt a réussi à se maintenir un minimum, mais j’ai été pressé de le finir et de passer à autre chose, signe de la déception que j’ai éprouvé au fil de la lecture. Il faut dire aussi que je sortais de Balzac et de sa « femme de trente ans » à l’écriture sublime et le contraste en passant au « monde de M » a été brutal !