Oeuvres complètes, tome 5: L'archipel du Goulag tome 2
de Alexandre Soljenitsyne

critiqué par Anonyme11, le 19 août 2020
( - - ans)


La note:  étoiles
227 témoignages, plus celui d'Alexandre Soljénitsyne, essentiels, pour notre Mémoire Universelle !
Dans ce deuxième volume de « L’Archipel du Goulag », Alexandre Soljénitsyne, par son témoignage et ceux de 227 prisonniers, nous présente l’immensité du Goulag, composé par sa foultitude de camps de concentration, de travaux forcés et de « rééducation ». Il décrit également le fonctionnement et les « relations » à l’intérieur des camps, entre les prisonniers et les bourreaux (ou Tchékistes, nom des bourreaux repris de la première Police Politique du régime Soviétique, instaurée en décembre 1917 par Lénine : la Tcheka !).
Il reprend la généalogie des camps de concentration depuis leurs origines situées, évidemment, dès le début de la période Léniniste. En effet, seuls nos « Camarades », en ce 21ème et début de 3ème millénaire sont encore capables de feindre et même de…, NIER, cette tragique réalité pourtant incontournable. D’ailleurs, de nombreuses citations concernant Lénine sont issues des 55 volumes de ses « Œuvres ». Effectivement, c’est Lénine, lui-même, qui employait des termes à caractères Terroristes, Criminogènes et pour tout dire…, Totalitaires, dans ses discours et ses ordres, tels que : « camps de concentration », « Terreur massive », « pendre », « fusiller », « travaux coercitifs », « ennemis de classe », « ennemis du peuple », « contre-révolutionnaires », « otages », « parasites », « insectes nuisibles », « éléments socialement douteux », etc. (page 13) :
« Eôs aux doigts de rose, si souvent mentionnée par Homère et que les Latins appellent l’Aurore, a caressé de la main le premier petit matin de l’Archipel.
Lorsque nos compatriotes eurent appris par la BBC la découverte de M. Mikhaïlov, à savoir que l’existence des camps de concentration dans notre pays remontait à 1921, beaucoup d’entre nous (beaucoup d’Occidentaux aussi) furent sidérés : si tôt ! cela se peut-il ? dès 1921 ! est-il possible ?
Bien sûr que non ! Bien sûr que Mikhaïlov se trompe. En 1921, ils fonctionnaient déjà à plein régime, nos camps de concentration (ils étaient même en voie d’achèvement). Il serait bien plus juste de dire que l’Archipel est né au son des canons de l' »Aurore » (croiseur, il tira les premières salves de la révolution d’Octobre (25 octobre/7 novembre) sur le Palais d’Hiver qui abritait la Gouvernement Provisoire).
Comment eût-il pu en être autrement ? Réfléchissons.
Marx et Lénine n’ont-ils pas enseigné la nécessité de briser l’ancienne machine coercitive de la bourgeoisie pour la remplacer sur-le-champ en en créant une nouvelle ? Or la machine coercitive comprend : l’armée (nous ne sommes pas étonnés de voir se constituer l’Armée rouge au début de 1918) ; la police (la milice est rénovée avant même l’armée) ; les tribunaux (à partir du 24 novembre/7 décembre 1917) ; – et les prisons. Pourquoi donc, au moment où l’on instaurait la dictature du prolétariat, eût-on dû tarder à introduire une nouvelle espèce de prison ?
Autrement dit, et d’une façon plus générale, prendre du retard en matière de prison, ancien style ou nouveau style, était une chose rigoureusement impossible. Dès les premiers mois qui suivirent la révolution d’Octobre, Lénine exigeait : « les mesures les plus résolues et les plus draconiennes pour relever la discipline » (note n°1 : V.I. Lénine, Polnoïé sobranié sotchinénïi[Œuvres complètes] en 55 volumes, 5e édition, Éditions d’État de littérature politique, Moscou, 1958-1965, t. 36, p. 217). Or des mesures draconiennes sont-elles possibles sans prison ?
Quelles nouveautés en la matière l’État prolétarien est-il susceptible d’apporter ? Ilitch [Lénine] explora de nouvelles voies. En décembre 1917, à titre d’hypothèse de travail, il proposa l’arsenal suivant de châtiments : « confiscation de tous les biens (…), détention en prison, expédition au front et travaux coercitifs pour tous les contrevenants à la présente loi (note n°2 : Lénine, Œuvres complètes., t. 35, p. 176). Nous pouvons donc noter que l’idée directrice de l’Archipel, les travaux forcés, a été avancée dès le premier mois de l’après-Octobre. »
De surcroît, l’Idéologie de la « Dictature du Prolétariat » devrait plutôt être nommée, en réalité : « Dictature SUR le prolétariat » et tous types d’autres « ennemis du peuple », puisqu’en effet, les Bolcheviques (Communistes), dans leur mansuétude légendaire, firent marquer dans la Constitution, dès le 10 juillet 1918, que… (page 17) :
« (…) celui qui ne travaille pas ne mange pas. En conséquence, si les détenus n’étaient pas conviés à travailler, ils devaient, aux termes de la nouvelle constitution, être privés de leur ration de pain. »
Ce principe consistant à nourrir les prisonniers en fonction de leur productivité (de toute façon dans tous les cas, la ration de nourriture dans les camps était totalement insuffisante pour nourrir correctement n’importe quel être humain) devait tragiquement devenir l’un des principes fondamentaux du mode de fonctionnement des camps de concentration et de travaux forcés de l’ère Soviétique, au moins jusque dans la décennie de 1950. D’où, entre autres causes, les 2 MILLIONS de morts au Goulag ! (pages 18, 19, 20, 21 et 24) :
« Lors du VIIIe Congrès du RKP(b) (Rossiïskaïa kommounistitcheskaïa partia (bolchévikov) [Parti communiste (bolchévique) de Russie] ; nom du PCUS en 1918-1923) (mars 1919), les fondements de la « politique du travail coercitif » furent inclus dans le nouveau programme du parti. Quant à la complète mise en forme organisationnelle d’un réseau de camps sur toute l’étendue du territoire de la Russie soviétique, elle coïncida rigoureusement avec les premiers samedis communistes (12 avril-17 mai 1919) : les arrêtés du Vtsik concernant les camps de travail forcé datent des 15 avril et 17 mai 1919 (note n°11 : Sobranié ouzakonéniï u rasporiajéniï Rabotchévo i krestianskovo pravitelstva, Izdavaïemoïe Narodnym Komissariatom ioustitsii [Recueil des dispositions législatives et des directives du Gouvernement ouvrier et paysan, édité par le Commissariat du Peuple à la Justice]. 24 avril 1919, n°12, p. 124 : Sur les camps de travail coercitif ; 3 juin 1919, n°20, p. 235 : Sur l’organisation des camps de travail coercitif). Ils prévoyaient la création (par les soins des tchékas locales) de camps de travail coercitif dans chaque chef-lieu de gouvernement (selon ce qui était le plus commode : dans l’enceinte de la ville, dans un monastère ou bien dans une propriété des environs) ainsi que dans certains districts (pour l’instant, pas dans tous). Chaque camp ne devait pas contenir moins de trois cents personnes (afin que le labeur des détenus remboursât les frais de garde et d’administration) ; tous étaient du ressort des Services punitifs des différents gouvernements.
Mais ces camps de travail forcé n’ont encore pas été les tout premiers camps de la RSFSR (Rossiïskaïa Sovetskaïa Fédérativnaïa Respoublika [République socialiste fédérative soviétique de Russie]). Le lecteur a déjà rencontré à plusieurs reprises, en lisant les sentences des tribunaux (1re partie, chap. 8), les mots « camp de concentration ». Peut-être a-t-il cru que nous commettions un lapsus ? que nous utilisions, par inadvertance, une terminologie postérieure ? Il n’en est rien.
En août 1918, quelques jours avant l’attentat perpétré contre lui par Fanny Kaplan, Vladimir Ilitch [Lénine], dans un télégramme adressé à Ievguénia Bosch (note n°12 : Cette femme, aujourd’hui oubliée, s’était vu confier à l’époque (en ce qui concerne la Tchéka et le Tséka) le destin de tout le gouvernement de Penza) et au Comité exécutif du gouvernement de Penza (aux prises avec une révolte paysanne qu’il n’arrivait pas à mater), écrivait ce qui suit : « Enfermer les douteux (pas les « coupables », les douteux – A.S.) dans un camp de concentration hors de la ville » (note n°13 : Lénine, Œuvres complètes, t. 50, p. 143-144). En outre : « …faire régner une terreur massive et sans merci… » (notez que le décret qui l’instituait n’avait pas encore été pris).
Et le 5 septembre 1918, une dizaine de jours après ce télégramme, fut publié le Décret du SNK (Sovet narodnykh kommissarov [Conseil des Commissaires du Peuple]) sur la Terreur rouge, signé Pétrovski, Kourski et BontchBrouïévitch. Outre les instructions concernant les exécutions massives par fusillade, il y était notamment prescrit de : « protéger la république des Soviets contre ses ennemis de classe en isolant ces derniers dans des camps de concentration (note n°14 : Recueil des dispositions législatives… 1918, section 1, n° 65, article 710 : De la Terreur rouge).
Voilà donc où – dans une lettre de Lénine, puis dans un décret du Sovnarkom [Soviet des Commissaires du Peuple (Gouvernement)] – il a été trouvé, pour être immédiatement saisi au vol et adopté, ce terme de « camp de concentration », l’un des termes majeurs du XXe siècle, promis à un si vaste avenir international ! Et voilà QUAND : en août et septembre 1918. Le mot lui-même s’était déjà employé pendant la Première Guerre mondiale, mais s’agissant de prisonniers de guerre, d’étrangers indésirables. Ici, pour la première fois, il est appliqué aux citoyens du pays lui-même. Le transfert de sens est compréhensible : un camp de concentration pour prisonniers de guerre n’est pas une prison, mais un lieu où il est nécessaire de les regrouper préventivement. On proposait maintenant que les citoyens douteux soient eux aussi l’objet de regroupements préventifs extrajudiciaires. L’esprit énergique de Lénine, s’étant présenté en pensée des non-condamnés entourés de barbelés, venait de trouver au passage le mot dont on avait besoin : kontsentratsionnyïé, « de concentration » !
Le chef des Tribunaux militaires révolutionnaires l’écrit, du reste, en toutes lettres : « L’internement dans des camps de concentration s’apparente à l’isolement des prisonniers de guerre » (note n°15 : K. Kh. Danichevski, Revolioutsionnyïé Voïennyïé Tribounaly [Les Tribunaux militaires révolutionnaires], édité par le Tribunal militaire révolutionnaire de la République, Moscou, 1920, p. 40 (Mention : secret). Voilà qui est franc : loi du plus fort et opérations militaires, mais contre son propre peuple.
Et si les camps de travail coercitif du NKIou (Narodny komissariat ioustitsii [Commissariat du Peuple à la Justice]) entraient dans la classe des « lieux communs de détention », les camps de concentration, eux, n’avaient rien d’un « lieu commun », ils étaient organisés, sous la compétence directe de la Tchéka, à l’intention des éléments particulièrement hostiles et des otages. Certes, par la suite, on put également échouer dans les camps après être passé devant le tribunal, mais il va de soi que ce qui vous marquait pour le flot, ce n’était pas la condamnation, mais le critère d’hostilité (note n°16: Recueil Des prisons…, p. 27-28). Toute tentative d’évasion du camp de concentration multipliait (sans jugement là non plus) votre temps de peine par dix ! (Bien dans le ton de l’époque, n’est-ce pas : « Dix pour un ! », « Cent pour un ! »). En conséquence, si quelqu’un, déjà titulaire de cinq ans, s’évadait puis était repris, sa peine était automatiquement prolongée jusqu’en 1968. Pour la seconde tentative d’évasion était prévu (et, bien entendu, régulièrement appliqué) le poteau.
En Ukraine, les camps de concentration furent créés avec un certain retard, seulement en 1920.
Les racines des camps étaient implantées profond, mais nous en avons perdu l’emplacement et jusqu’à la trace. Sur la plupart des premiers camps de concentration, plus personne ne nous fera de récits. Seuls les derniers témoignages de ceux qui ne sont pas encore morts parmi les premiers internés permettent de saisir quelque chose et de le sauver.
À l’époque, les autorités qui installaient les camps avaient une certaine prédilection pour les ex-monastères : murs solides formant enceinte, bâtiments de bonne qualité, et l’ensemble vide d’occupants (les moines, n’est-ce pas, ne sont pas des hommes : dehors, tout ça !). C’est ainsi qu’à Moscou, il y eut des camps de concentration dans les monastères Saint-Andronic, Neuf-du-Saint-Sauveur, Saint-Jean. Le Journal rouge de Pétrograd du 6 septembre 1918 nous apprend que le premier camp « sera installé à Nijni-Novgorod, dans un couvent de femmes vide d’occupantes (…). Les premiers temps, il est prévu d’expédier dans le camp de Nijni-Novgorod cinq mille personnes » (souligné par moi – A.S.).
À Riazan, le camp fut également établi dans un ci-devant monastère (le monastère de Kazan). Voici ce qu’on en raconte. Il y avait là des marchands, des prêtres, des « prisonniers de guerre » (nom que l’on donnait aux officiers capturés qui ne servaient pas dans l’Armée rouge). Mais aussi des clients indéfinissables (le tolstoïen I. Ie… v, dont nous connaissons déjà le procès, y avait précisément échoué). Dépendant du camp, des ateliers : tisserands, tailleurs, cordonniers, ainsi que (cette dénomination existait déjà en 1921) des « travaux généraux », à savoir des chantiers de remise à neuf et de construction en ville. Les détenus sortaient sous escorte, mais les artisans isolés, selon la nature de leur travail, étaient laissés sans gardiens et les habitants leur donnaient, dans les maisons, de petits suppléments de nourriture. La population de Riazan manifestait beaucoup de compassion aux privés (« privés de liberté », et non pas « détenus », telle était la dénomination officielle) ; lorsque leur colonne passait, on leur faisait l’aumône (des biscuits, de la betterave cuite, des pommes de terre) : l’escorte ne les empêchait pas de l’accepter et les privés de liberté partageaient entre eux de façon égale tout ce qu’ils avaient reçu. (À chaque pas, voilà des habitudes qui ne sont pas les nôtres, une idéologie qui n’est pas la nôtre). Les « privés » particulièrement chanceux se casaient dans quelque institution en rapport avec leur spécialité (le… v, aux Chemins de fer) ; dans ce cas, ils recevaient un laissez-passer pour circuler en ville (mais en revenant au camp passer la nuit).
Voici quelle était la nourriture (en 1921) : une demi-livre de pain (plus une autre demi-livre pour ceux qui remplissaient la norme), matin et soir de l’eau bouillante, au milieu de la journée une louche de soupe-lavure (renfermant quelques dizaines de grains et des épluchures de pommes de terre).
Ornements de la vie du camp : d’une part, les mouchardages des provocateurs (et les arrestations y relatives) ; de l’autre, un cercle d’activités chorales et dramatiques. Des concerts étaient donnés à l’intention des Riazanois dans la salle de l’ex-assemblée de la noblesse, l’orphéon des « privés » jouait au jardin public. De plus en plus, les privés liaient connaissance avec les habitants de la ville et se rapprochaient d’eux, cela finissait par devenir intolérable : alors on se mit à expédier les « prisonniers de guerre » dans les Camps du Nord à destination spéciale.
Il y avait une leçon à tirer de ces camps de concentration, avec leur manque de fermeté et de sévérité : ils se trouvaient en plein cœur de la vie civile. D’où la nécessité des camps spéciaux du Nord. (Les établissements du premier type furent liquidés à partir de 1922).
Toute cette aurore des camps mérite qu’on se plonge plus intensément dans ses chatoiements.
Après la fin de la guerre civile, les deux armées du travail constituées par Trotsky durent être dissoutes en raison des murmures des soldats maintenus sous les drapeaux, ce qui ne fit que renforcer le rôle des camps de travail forcé dans la structure de la RSFSR (Rossiïskaïa Sovetskaïa Fédérativnaïa Respoublika [République socialiste fédérative soviétique de Russie]). Vers la fin de 1920, la RSFSR comptait 84 camps sis dans 43 gouvernements (note n°17 : Tsentralny gossoudarstvenny arkhiv Oktiabrskoï revolioutsii (TsGAOR) [Archives centrales d’État de la Révolution d’Octobre], fonds 393, inv. 13, dossier 1c, f. 111). À en croire une statistique officielle (encore que tenue secrète), ils contenaient à l’époque 25 336 personnes, sans compter 24 400 « prisonniers de la guerre civile » (note n°18 : Ibid., f. 112). Les deux chiffres, en particulier le dernier, semblent sous-estimés. Toutefois, si l’on considère qu’ils n’englobent pas les détenus relevant de la Tchéka, où, du fait des opérations de désengorgement des prisons, coulages de péniches et autres formes d’extermination massive, le décompte ne cessait d’être repris à zéro, il se peut qu’ils soient exacts. L’avenir devait compenser.
(…) Voyons donc la suite. Au 1er octobre 1923, au début des années sans nuage de la Nep (assez loin encore du culte de la personnalité), nous avons les chiffres suivants : 355 camps, 68 297 privés de liberté, 207 maisons de correction, 48 163 ; 105 maisons de détention et prisons, 16 765 ; 35 colonies agricoles, 2 328, plus 1 041 mineurs et malades (note n°22 : Archives centrales d’État de la Révolution d’Octobre, fonds 393, inv. 39, dossier 48, ff. 13, 14).
Comme l’explique Alexandre Soljénitsyne plus haut, durant la période Léniniste, les camps de concentration furent pleins si rapidement, que l’État-Parti Bolchevique (Communiste) créa les Camps du Nord à destination spéciale (S.L.O.N.), comme ceux de Pertominsk, Kholmogory et bien sûr le plus grand d’entre eux, le tristement : Archipel des îles Solovki dans la région d’Arkhanguelsk, dès 1923, dont la partie principale était représentée par le monastère nommé : le kremlin (confer les ouvrage de Francine-Dominique Lichtenhan : « Le laboratoire du Goulag : 1918-1939 » ; Sozerko Malsagov et Nikolaï Kisselev-Gromov : « Aux origines du Goulag, Récits des îles Solovki : L’île de l’enfer suivi de Les camps de la mort en URSS » et Raymond Duguet : « Un bagne en Russie rouge »), (pages 31 et 32) :
« Bien qu’inspirés par la lutte des classes, les camps de concentration existants avaient été, en effet, jugés insuffisamment sévères. L’année 1921 avait déjà vu fonder les Camps du Nord à destination spéciale (Slon), dépendant de la Tchéka. Les premiers camps de ce type avaient fait leur apparition à Pertominsk, à Kholmogory et tout près d’Arkhanguelsk (note n°6 : Solovetskiïé ostrova [Les Ȋles Solovki] revue hebdomadaire, organe de la Direction des camps des Solovki à destination spéciale de l’Oguépéou. Ouslon, îles Solovki, 1930, n° 2-3, p. 55, rapport présenté à Kem par le camarade Nogtev, chef de l’Ouslon. Lorsqu’on montre maintenant aux touristes, dans l’estuaire de la Dvina, ce qu’on appelle « le camp du gouvernement Tchaïkovski », il faut savoir qu’il s’agit d’un des premiers « camps du Nord à destination spéciale » de la Tchéka). Cependant, ces endroits avaient été, semble-t-il, reconnus difficiles à garder et impropres à la concentration de grosses masses de détenus. Alors, tout naturellement, les regards des autorités s’étaient portés sur les îles toutes proches, ces Solovki à la vie matérielle bien organisée, aux bâtiments de pierre, séparées du continent par une distance de vingt à quarante kilomètres – suffisamment courte pour les geôliers, suffisamment longue pour les fuyards – et totalement coupées de lui six mois par an : un endroit encore plus coriace que Sakhaline. »
Dans ces camps de concentration (notamment aux Solovki), comme dans les centaines de Centres d’interrogatoire, de torture et d’exécution de la Tchéka, à travers toute la Russie, les plus horribles tortures et crimes y étaient perpétrés, comme ces quelques exemples (page 38) :
« Inutile, d’ailleurs, d’aller chercher un perchis en haut de la Hache, il s’en trouve également au cachot, toujours bondé, du kremlin. On peut aussi vous coller debout sur l’arête d’un bloc erratique : impossible de s’y maintenir. En été, on vous plante « sur des souches », c’est-à-dire nu, exposé aux moustiques. Mais cela implique qu’on surveille le puni ? Il n’y a qu’à l’attacher à un arbre, les moustiques se chargeront de lui. En hiver, quand il gèle, le prisonnier nu sera arrosé d’eau. Ou encore : on fait coucher des compagnies entières dans la neige pour une peccadille. Ou encore : on enfonce jusqu’au cou un homme dans les boues qui bordent le lac et on l’y maintient. Ou bien encore, tenez : on attelle un cheval à des brancards vides, à l’autre extrémité des brancards on attache les pieds du coupable, un gardien enfourche le cheval et le fait courir dans une coupe de bois jusqu’à ce que cris et gémissements cessent de se faire entendre derrière. »
Le monastère (le kremlin) et plusieurs îles des Solovki furent donc transformés par le Pouvoir Bolchevique, en camps de concentration en 1923 ; le tout formant un gigantesque Archipel Concentrationnaire. Comme nous venons de le voir, la torture y était monnaie courante et particulièrement perverse ; et il existait également des lieux d’exécution. D’ailleurs, après l’effondrement de l’U.R.S.S. en 1991, plusieurs charniers ont été découverts aux Solovki ! (page 42) :
« On le fait entrer par cette porte et on lui tire dans la nuque ; un peu plus loin, des degrés descendent en pente raide, il va basculer ; on peut même abattre des fournées de sept ou huit, après quoi on envoie des gens évacuer les cadavres, ainsi qu’une corvée de femmes (mères et épouses d’hommes partis pour Constantinople ; croyantes qui n’ont pas abandonné leur foi et ont refusé d’en laisser détacher leurs enfants) pour laver les marches (note n°12 : Aujourd’hui, sur les pierres où on traînait ainsi les gens, à cet endroit de la cour abrité du vent des Solovki, des touristes heureux de vivre et venus visiter l’île tellement célèbre se font, des heures durant, des passes de volley-ball. Ils ne savent pas. Et s’ils savaient ? Eh bien, ils se feraient des passes exactement de la même façon.
Du reste, ceux des guides qui laissaient entendre qu’il y avait eu là un camp, et pas seulement un monastère, ont été remerciés. Et l’on s’efforce de confiner les touristes dans les limites de la Grande île : afin qu’ils ne voient ni la montagne de la Hache, ni même l’ermitage de la Trinité (où il subsiste jusqu’à ce jour beaucoup de barreaux, ainsi que des guichets dans le bois des portes), ni celui de Saint-Sabbace. (Là, on a par exemple un cachot souterrain qui vous fait grelotter en une minute un jour de canicule)). »
Puis dans les années 30, sous l’ère Stalinienne, comme l’ogre Soviétique devait isoler, et pour tout dire, se débarrasser définitivement de toujours plus d' »ennemis du peuple », l’Archipel du Goulag se développa considérablement à travers une foultitude de ramifications de catégories de camps. Chaque tentacule comprenant de nombreux camps, était spécialisée dans un secteur d’activité. À commencer par les travaux forcés dans de grands chantiers comme le Bélomorkanal (ou canal Staline) reliant la Baltique à la Mer Blanche. Il y eut également le Bamlag : la voie ferrée Baïkal-Amour. Dans ces monstrueux chantiers, des dizaines de milliers de zeks (prisonniers) périrent : de faim, d’épuisement, de maladie ou bien encore sommairement exécutés (confer le témoignage de Dimitri Vitkovski récemment publié en 2012 : « Une vie au Goulag »). Voici donc dans quelles effroyables conditions fut construit le Bélomorkanal (pages 80, 81 et 90) :
« Le canal doit être construit dans un court laps de temps et revenir bon marché ! – telle est la directive du camarade Staline ! » (Or quiconque a vécu cette époque se souvient de ce que cela signifiait, une Directive du Camarade Staline !) Vingt mois ! voilà ce qu’alloua le Grand Guide à ses criminels, tant pour le canal que pour leur redressement : de septembre 1931 à avril 1933. Il n’avait même pas pu donner deux années entières, tant il était pressé. Canal de Panama, 80 kilomètres : 28 ans ; canal de Suez, 160 kilomètres : 10 ans ; canal Baltique – mer Blanche, 227 kilomètres : moins de 2 ans – ça vous va ? Deux millions et demi de mètres cubes de roche à déblayer ; en tout, 21 millions de mètres cubes de terrassements. Avec les amas de blocs erratiques qui couvrent cette contrée. Avec les marais. Les sept écluses de l' »escalier de Povénets », les douze écluses de la descente vers la mer Blanche. 15 digues, 12 déversoirs, 49 levées de retenue, 33 canaux. 390 000 mètres cubes de bétonnage, 921 000 mètres de cubes de gabionnage (note n°11 : Arrêté du Conseil des Commissaires du Peuple de l’URSS (Moscou, Kremlin, 2 août 1933). Le Canal Staline de la Baltique à la mer Blanche, p. 401). Et « ce n’est pas le Dneprostroï, auquel ont été accordés long délai et devises étrangères. Le chantier du canal Baltique – mer Blanche est confié à l’Oguépéou et n’aura pas un sou de devises ! ».
Voici que le dessein devient de plus en plus clair à nos yeux : ainsi donc, Staline et le pays ont si fort besoin du canal que pas un sou de devises ne lui sera attribué. Vous allez avoir cent mille détenus travaillant simultanément, quel capital pourrait être plus précieux ? Et fournissez-nous le canal dans vingt mois, hein ! pas un jour de délai supplémentaire.
Du coup, on se déchaînerait à moins contre ces nuiseurs d’ingénieurs. Les ingénieurs disent : faisons des ouvrages en béton. Réponse des tchékistes : pas le temps. Les ingénieurs disent : nous avons besoin de beaucoup de fer. Les tchékistes : remplacez-le par du bois ! Les ingénieurs disent : il nous faut des tracteurs, des grues, des engins de chantier ! Les tchékistes : vous n’aurez rien de tout cela, pas un sou de devises, faites tout à la main !
(…) D.P. Vitkovski, un ancien Solovkien qui, conducteur de travaux au Bélomor, sauva de nombreuses vies grâce à cette fameuse « truffe », c’est-à-dire en trichant sur le volume des travaux effectués, brosse ce tableau d’un soir sur le canal (Poljizni [La Moitié d’une vie], Samizdat (note n°17 : publié pour la première fois dans la revue Znamia [L’Étendard], 1991, n°6 (NdR)) :
« Une fois terminée la journée de travail, il reste des cadavres sur le chantier. La neige recouvre peu à peu leurs visages. En voici un recroquevillé, les mains dans les manches, sous sa brouette qui s’est renversée sur lui : le froid l’a pris ainsi. Un autre a été saisi avec la tête enfoncée entre les genoux. Ces deux-là ont gelé dos contre dos. Tous des gars de la campagne, les meilleurs ouvriers qu’on puisse imaginer. On les expédie au canal par dizaines de milliers, en les séparant pour éviter qu’aucun d’eux ne se retrouve dans le même camp que son père. Et d’emblée on leur assigne une telle norme de cailloux et de blocs erratiques que nul n’en viendrait à bout même en été. Personne n’est là pour leur apprendre à vivre, pour les prévenir, et ils se donnent à fond comme on fait à la campagne ; ils s’affaiblissent rapidement, et voilà : ils gèlent, embrassés deux par deux. La nuit, des traîneaux passent pour les ramasser. Les conducteurs y lancent les cadavres qui résonnent comme du bois en retombant.
« L’été, si les cadavres n’ont pas été ramassés à temps, seuls subsistent les os, et ils passent dans la bétonneuse en même temps que le gravier. Ainsi ont-ils été coulés dans le béton de la dernière écluse, près de la ville de Bélomorsk, où ils demeureront pour l’éternité. »
Il faut dire aussi que les directeurs du chantier ont renchéri sur la férocité du Patron lui-même. Malgré son « pas un sou de devises », Staline avait ouvert un crédit de 400 millions de roubles soviétiques. Pour se faire bien voir, ils n’en ont même pas dépensé le quart : 95 300 000 roubles (note n°18 : A. Proussak, Iz istorii Bélomorkanala [Pages d’histoire du canal de la mer Blanche], Voprosy istorii [Questions d’histoire], 1945, n° 2, p. 143). »
Puis, l’expansion du Goulag atteignit des régions particulièrement reculées, jusque dans les contrées sauvages, inhospitalières et particulièrement froides de la Kolyma. Cette dernière était dépendante de la Direction des camps du Nord-Est nommée : l’Ousvitlag (confer l’ouvrage de Nicolas Werth : « La route de la Kolyma »). En effet, ici les températures Sibériennes sont extrêmes, pouvant atteindre les -50°. Exercer les travaux forcés dans un climat aussi rude ; qui plus est, dans un habillement rudimentaire engendrait régulièrement des amputations de doigts, d’orteils, voire de mains, de pieds, de bras ou de jambes gelés et gangrenés par le froid ; ainsi que d’innombrables décès, de froid, d’épuisement, et de sous alimentation. Dans de telles conditions de survie, bien souvent les zeks préféraient s’auto-mutiler en se coupant une main par exemple, plutôt que de risquer d’être écrasé lors de l’abattage d’un arbre dans les neiges et le froid extrême de la Kolyma ! Lorsque des êtres humains atteignent un tel niveau de désespoir, il me semble que l’on peut alors parler d’une volonté délibérée de se débarrasser de ces forçats par l’extermination de masse, de la part de l’État-Parti-Unique Soviétique ! (pages 115 à 117) :
« Alors on supprima (pour les Cinquante-Huit [en référence à l’infâme article 58 du code Pénal Stalinien]) les derniers jours de repos (il en était prévu trois par mois mais ils n’étaient pas accordés régulièrement et l’hiver, les normes étant mal remplies, on n’en donnait pas du tout), la durée de la journée de travail en été fut portée à quatorze heures, des froids de 45° et 50° en dessous furent tenus pour ouvrables et l' »instrumentation » (« instrumenter » (aktirovat) une journée, c’est constater par un acte authentique qu’en raison du froid, le travail est impossible) d’une journée ne fut autorisée qu’à partir de 55° en dessous. L’arbitraire de certains chefs faisait qu’on vous envoyait au travail même par moins de 60. (Nombreux sont les anciens de la Kolyma qui ne se rappellent pas avoir jamais vu un thermomètre dans leur Olp). À la mine du Mont, les réfractaires étaient attachés par des cordes à un traîneau (encore un plagiat des Solovki) et traînés ainsi jusque dans la taille. En outre, il fut admis à la Kolyma que l’escorte n’est pas là simplement pour garder les détenus : elle répond de l’accomplissement du plan, elle ne doit pas se tourner les pouces, mais sans cesse harceler tout le monde.
N’oublions pas le scorbut, qui n’avait pas besoin de chefs pour terrasser les hommes.
Mais tout cela paraissait insuffisant, ça ne faisait pas encore assez « régime », le nombre de détenus ne diminuait pas encore assez. Alors commencèrent les « fusillades Garanine », carrément des assassinats. Parfois sur fond de ronflement de tracteurs, parfois non. Bien des camps sont connus pour leurs exécutions et leurs immenses charniers : et Orotoukane, et la source du Pôle, et Svistopliass et Annouchka, et même le commando agricole de Douktcha, mais les plus illustres dans le genre sont la mine Dorée (chef de camp Pétrov, délégués opérationnels Zélenkov et Anissimov, chef de la mine Barkalov, chef de la section locale du NKVD Bourov) et la Serpentine. À la Dorée, on extrayait de jour les brigades de la taille et on les fusillait sans désemparer. (Mais pas pour remplacer les exécutions de nuit, lesquelles avaient une existence indépendante.) Quand il venait, le chef du Iouglag, Nikolaï Andreïevitch Aglanov, aimait à se choisir, au moment du départ pour le travail, une brigade coupable de quelque manquement, il ordonnait qu’on la conduisît à l’écart et, en personne, tirait à coups de revolver sur ces hommes agglutinés, terrorisés, tout en ponctuant son travail de cris de joie. Les cadavres n’étaient pas enterrés, ils se décomposaient au mois de mai ; on faisait alors appel à des crevards rescapés pour les enfouir, moyennant une ration renforcée comportant même de l’alcool. À la Serpentine, on fusillait chaque jour de trente à cinquante hommes sous un auvent proche de l’isolateur. Ensuite, on transportait les cadavres, en traîneau tracté, derrière une « sopka ». Conducteurs de tracteurs, chargeurs de cadavres et fossoyeurs logeaient dans une baraque à part. Garanine fusillé, on les fusilla tous eux aussi. Il existait encore une autre technique : on conduisait les détenus, les yeux bandés, jusqu’à un puits de mine profond et on tirait dans l’oreille ou dans la nuque. (Personne ne nous rapporte qu’il y ait eu de la résistance). Puis la Serpentine fut fermée et on raya de la surface de la terre l’isolateur en question, on effaça toute trace des exécutions et on combla les puits qui avaient servi (note n°4 : en 1954, on découvrit à la Serpentine des réserves d’or industrialisables (inconnues jusqu’alors en ce lieu). Il fallut les exploiter au milieu des ossements humains : l’or est plus précieux.)
Dans les mines où les exécutions ne se pratiquaient pas ainsi ouvertement, on lisait à tous (ou on placardait) des affichettes portant en grosses lettres les noms et en petits caractères les motifs : « propagande antisoviétique », « outrage à l’escorte », « non-exécution de la norme ».
De temps en temps, les exécutions s’arrêtaient parce que le plan d’extraction d’or était en déroute et que la mer d’Okhotsk gelée ne permettait plus d’acheminer le renfort d’une nouvelle fournée de détenus (M.I Kononenko attendit ainsi son exécution à la Serpentine pendant plus de six mois et resta finalement en vie).
(…) J’exclus presque entièrement la Kolyma de la matière embrassée par ce livre. Dans l’Archipel, la Kolyma est un continent distinct, qui mérite que lui soient consacrés des récits distincts. En outre, la Kolyma a eu de la « chance » : Varlam Chalamov en a réchappé et a déjà écrit beaucoup ; en ont réchappé Ievguénia Guinzbourg, O. Sliozberg, N. Sourovtséva, N. Grankina et d’autres, qui toutes et tous ont écrit des mémoires (note n°5 : D’où vient pareil foisonnement alors qu’il n’existe presque pas de mémoires non kolymiens ? De ce que la fleur des détenus y a effectivement été concentrée ? Ou alors, quelque étrange que la chose puisse paraître, on mourait plus abondamment dans les camps « proches » ?). Je me permettrai simplement de citer ici quelques lignes de V. Chalamov, consacrées aux « fusillades Garanine » :
« De nombreux mois durant, le jour et la nuit, aux appels du matin et du soir, on donna lecture d’ordres du jour contenant des listes fleuves de fusillés. Par cinquante degrés en dessous de zéro, un orchestre de délinquants jouait une fanfare avant et après la lecture de chaque ordre du jour. Des torches fumeuses, à l’essence, trouaient les ténèbres… Le papier pelure de l’ordre du jour se couvrait de givre, et celui des chefs qui faisait la lecture époussetait de sa moufle les cristaux de neige afin de pouvoir déchiffrer et crier le nom du suivant sur la liste des fusillés ». »
D’immenses camps de concentration et de travaux forcés furent donc ouverts à travers tout le pays, autour de mines d’extraction : de charbon, d’or, de cuivre, de tungstène, et de différents autres minerais. Comme nous l’avons vu notamment avec le Bélomorkanal, il existait des camps de travaux forcés mobiles suivant l’avancement des chantiers pharaoniques. Certaines régions Sibériennes comme la Kolyma étaient spécialisées dans l’abattage des arbres. On trouvait également des briqueteries. Voici quelques exemples parmi ces gigantesques camps de concentration et de travaux forcés constituant le Goulag (pages 123 et 124) :
« En 1939, à la veille de la guerre avec la Finlande, l’alma mater du Goulag, les Solovki, devenues trop proches de l’Occident, furent transférées par la voie maritime du Nord en partie sur la Nouvelle Zemble, le reste dans l’embouchure de l’Iénisseï où elles se fondirent avec le Norillag alors en voie de constitution et qui atteignit bientôt les soixante-quinze mille hommes. Si maligne était la tumeur solovkienne que, même au moment de mourir, elle donna encore une dernière métastase, et quelle métastase !
C’est aux années qui ont juste précédé la guerre que remonte la conquête par l’Archipel des déserts inhabités du Kazakhstan. Alors se déploie tel une pieuvre le nid de camps de Karaganda, de fertiles métastases sont projetées jusqu’à Djezkazgan et au poison de son eau cuivreuse, jusqu’à Mointy, jusqu’à Balkhach. Les camps parsèment aussi le Nord du Kazakhstan.
De nouvelles formations boursouflent la province de Novossibirsk (camps de Mariinsk), la province de Krasnoïarsk (camps de Kansk, Kraslag), la Hakassie, la Bouriate-Mongolie, l’Ouzbékistan et même la Haute-Chorie.
Aucun arrêt n’est observé dans la croissance du favori de l’Archipel : le Grand-Nord Russe (Oust-Vymlag, Nyroblag, Oussollag), ni dans celle de l’Oural (Ivdellag).
Cette énumération comporte bien des omissions. Il m’a suffit d’écrire « Oussollag » pour que cela me rappelle aussi l’existence d’un camp à Oussolié, près d’Irkoutsk.
Plus simplement, il n’a point existé de province, que ce soit celle de Tchéliabinsk ou celle de Kouïbychev, qui n’ait engendré ses camps.
La méthode consistant à transformer en camps des agglomérations paysannes fut à nouveau appliquée après la déportation des Allemands de la Volga : des villages entiers, tels quels, étaient entourés d’une enceinte et donnaient des commandos agricoles (camps agricoles de Kamensk, entre Kamychine et Engels). »
Alexandre Soljénitsyne estime qu’à son apogée, l' »Archipel du Goulag » représentait environ 8 % du territoire de l’immense Russie !

L’auteur nous présente également les raisons de l’obsession du travail forcé, dans l’univers Totalitaire Communiste, à travers les théories de Engels et de Marx (page 127 et 128) :
« Quant à la justification théorique, elle n’eût pu, dans la hâte de ces années, se constituer avec autant d’assurance si elle n’avait commencé de le faire dès le siècle dernier. Les recherches d’Engels avaient établi que ce n’était pas avec la naissance de l’idée morale qu’avait commencé l’homme, ni avec la pensée, mais avec un travail fortuit et dénué de sens : un singe a pris un caillou en main, et tout est parti de là. Marx, lui, parlant d’une époque plus proche (Critique du programme de Gotha), affirma avec tout autant d’assurance que l’unique moyen de redressement des criminels (à la vérité, de droit commun : il ne lui venait pas à l’esprit, apparemment, que ses disciples tiendraient les politiques pour des criminels) résidait non pas, là non plus, dans la réflexion solitaire, ni dans un auto-approfondissement moral, ni dans le repentir, ni dans le cafard (qui ne sont que des superstructures !), mais dans le travail productif. Lui-même, de sa vie, ne prit en main une pioche, jusqu’à la fin de ses jours n’eut à pousser la moindre brouette, à extraire du charbon, à abattre des arbres, et nous ignorons comment il s’y prenait pour fendre le bois, mais qu’à cela ne tienne : il coucha sa théorie sur le papier, et celui-ci ne protesta point.
Pour ses adeptes, ce fut dès lors un jeu d’enfant d’établir : que forcer un détenu à travailler quotidiennement (parfois pendant quatorze heures, comme dans les tailles de la Kolyma) est humain et aboutit à son redressement. Au contraire, limiter sa détention aux dimensions d’une cellule de prison, d’une courette et d’un potager, lui donner la possibilité, pendant les années qu’il passe là, de lire des livres, d’écrire, de méditer et de discuter, cela, c’est le traiter « comme du bétail » (toujours extrait de la même Critique…).
À la vérité, durant l’époque brûlante de l’après-Octobre, on n’avait que faire de ces finesses et on trouvait encore plus humain de fusiller tout bonnement les gens. Ceux qui n’étaient pas fusillés, mais fourrés dans les tout premiers camps, n’étaient pas envoyés là à des fins de redressement, mais de neutralisation, d’isolement pur et simple.
Il y avait toutefois, même à cette époque-là, des esprits qui se penchaient sur la théorie des châtiments. Piotr Stoutchka par exemple, et les Principes directeurs du droit criminel en RSFSR, de 1919, soumirent à une nouvelle définition le concept même de châtiment. Le châtiment, y affirmait-on avec beaucoup de fraîcheur, n’est ni vengeance (l’État ouvrier et paysan ne se venge pas du criminel), ni rachat de la faute (il ne saurait exister de faute individuelle, il existe uniquement une causalité de classe), le châtiment ne représente qu’une mesure de sauvegarde visant à protéger l’ordre social, il est une mesure de défense sociale.
Puisque « mesure de défense sociale » il y a, tout devient clair : à la guerre comme à la guerre, il faut ou bien fusiller (la « mesure suprême de défense sociale ») ou bien garder en prison. Mais, dans ces conditions, l’idée de redressement, à laquelle conviait, en cette même année 1919, le VIIIe Congrès du parti, perdait plus ou moins de son éclat. Et, surtout, on n’arrivait plus à comprendre : de quoi les prisonniers devaient-ils se corriger, puisque la faute n’existait pas ? On ne saurait, n’est-ce pas, se corriger de la causalité de classe ? ! »
Alexandre Soljénitsyne cite souvent une devise qui était très répandue chez les détenus, dans les prisons et camps Soviétiques, tant leur désarroi était profond : « Toi, meurs aujourd’hui – moi, ce sera pour demain ! »

Après la Seconde Guerre Mondiale, le Tribunal de Nuremberg fut chargé de juger et de condamner : le Nazisme, ses Crimes contre l’Humanité, le Génocide de la Shoah et les responsables Nazis. Or, tragique ironie de l’Histoire, en pleine période Stalinienne, des juges Soviétiques donc directement issus du Totalitarisme Communiste, siégeaient lors de ce Tribunal pour juger l’autre…, Totalitarisme Nazi ! (page 373) :
« Mais les enfants ! Pourquoi supprimiez-vous les enfants ? » lançait dans son innocence aux accusés du procès de Nuremberg, avec un étonnement horrifié, le juge soviétique Nikittchenko qui se trouvait par hasard ignorer tout de la législation intérieure de son pays (il avait oublié les sentences rendues par lui-même). Et les juges anglais, français et américain siégeaient bien sûr à ses côtés avec un air encore plus honnête et intelligent. »
Enfin, Alexandre Soljénitsyne analyse le long, terrible, mais finalement, moralement « fructueux » parcours de son existence (pages 510 et 511) :
« Dans ce retour sur mon passé, je m’aperçus que, durant tout ma vie consciente, je n’avais jamais compris ni mon être ni mes aspirations. Longtemps j’ai pris pour un bien ce qui causait ma perte, et sans cesse j’allais à l’encontre de ce qui m’était réellement utile. Mais, comme les vagues de la mer renversent le baigneur inexpérimenté et le rejetant sur la grève, de même les coups douloureux du sort me ramenaient sur la terre ferme. C’est à ce prix seulement que j’ai pu parcourir le chemin que j’avais, en fait, toujours voulu.
L’échine courbée, presque brisée, j’ai pu tirer de mes années de prison la connaissance suivante : comment l’homme devient bon ou méchant. Enivré par les succès de jeunesse, me sentant infaillible, je fus souvent cruel. Abusant du pouvoir, j’ai tué et violé. Dans mes pires actions, j’étais persuadé de bien agir, bardé d’arguments solides. Sur la paille pourrissante de la prison, j’ai ressenti pour la première fois le bien remuer en moi. Peu à peu j’ai découvert que la ligne de partage entre le bien et le mal, ne sépare ni les États ni les classes ni les partis, mais quelle traverse le cœur de chaque homme et de toute l’humanité. Cette ligne est mobile, elle oscille en nous avec les années. Dans un cœur envahi par le mal, elle préserve un bastion de bien. Dans le meilleur des cœurs – un coin d’où le mal n’a pas été déraciné.
Dès lors, j’ai compris la vérité de toutes les religions du monde : elles luttent contre le mal en l’homme (en chaque homme). Il est impossible de chasser tout à fait le mal hors du monde, mais en chaque homme on peut le réduire.
Dès lors, j’ai compris le mensonge de toutes les révolutions de l’histoire : elles se bornent à supprimer les agents du mal qui leur sont contemporains (et de plus, dans leur hâte, sans discernement, les agents du bien), mais le mal lui-même leur revient en héritage, encore amplifié.
Le procès de Nuremberg est à mettre à l’actif de XXe siècle : il tua l’idée pernicieuse elle-même, et un tout petit nombre de personnes contaminées par cette idée. (Bien entendu, le mérite n’en revient pas à Staline, il eût préféré voir fournir moins d’explications et fusiller davantage.) Si, au XXIe siècle, l’humanité ne se suicide pas dans une explosion atomique ou par asphyxie, peut-être ce courant va-t-il triompher ?
S’il ne triomphe pas, alors toute l’histoire de l’humanité n’aura fait que vainement piétiner, sans le moindre sens ! Vers quoi marchons-nous et dans quel but ? Matraquer son ennemi, l’homme des cavernes savait déjà le faire.
« Connais-toi toi-même. » Rien ne favorise autant l’éveil de l’esprit de compréhension que les réflexions lancinantes sur nos propres crimes, nos ratages et nos erreurs. J’ai passé de nombreuses années à dévider ces réflexions douloureuses et quand on me parle de l’insensibilité de nos hauts fonctionnaires ou de la cruauté des bourreaux, je me revois avec mes épaulettes de capitaine conduisant ma batterie à travers la Prusse Orientale ravagée par les incendies, et je dis :
« Nous autres, avons-nous été meilleurs ?… »
Quand on me fait remarquer avec amertume la mollesse de l’Occident, sa myopie politique, ses divisions, son désarroi, j’invoque le passé :
« Mais nous, avant d’être passés par l’Archipel, avions-nous des pensées plus fermes, plus fortes ? »
C’est pourquoi je me tourne vers mes années de détention et dis, non sans étonner parfois ceux qui m’entourent :
« Bénie sois-tu, prison ! »
(…) Tous les écrivains qui ont parlé de la prison sans y avoir été se sont crus obligés d’exprimer leur sympathie aux détenus et de maudire la prison. Moi j’y suis resté suffisamment, j’y ai forgé mon âme et je dis inflexiblement :
« Bénie sois-tu prison, béni soit le rôle que tu as joué dans mon existence ! »
(Mais des tombes on me répond : « Parle toujours, toi qui es resté en vie ! »). »

En Conclusion :
Aujourd’hui, au 21ème siècle, le grand historien, Nicolas Werth, spécialiste de l’Union Soviétique estime qu’environ 20 000 000 de personnes sont « passées » par le Goulag (soit 1 adulte sur 6) ; et que 2 000 000 y sont morts. Cet effroyable bilan concerne uniquement le Goulag, auquel il faut ajouter tous les autres Crimes contre l’Humanité et Génocides du régime Totalitaire Communiste Soviétique, comme : La Dékoulakisation des années 30 ; les 6 000 000 de morts du Génocide Ukrainien en 1932-1933 ; les 1 500 000 victimes de la Grande Terreur de 1937-1938 dont une moitié fut déportée au Goulag et l’autre moitié…, fusillée ; le massacre de masse de Katyn en 1940 ; etc., etc., etc..

Avec le régime Totalitaire Nazi d’Hitler et ses 25 000 000 de morts civils, au-delà du seul régime Soviétique, c’est tout le système Idéologique Totalitaire Communiste mondial qui a organisé l’autre plus grande extermination de masse d’êtres humains à l’échelle de la planète au 20ème siècle, voire de toute l’Histoire de l’Humanité ; dans des conditions effroyables : de déshumanisation et de souffrances physiques et mentales avec ses…, 100 000 000 de morts civils !

Pour VOUS victimes, l’Histoire, un jour, le dira….

Confer également les précieux témoignages sur le thème du Totalitarisme, de :
– Rithy Panh : « L’élimination » ;
– Dimitri Vitkovski : « Une vie au Goulag » ;
– Navy Soth : « Les larmes interdites » ;
– Shin Dong-hyuk : « Rescapé du camp 14 : De l’enfer nord-coréen à la liberté » ;
– Eunsun Kim : « Corée du nord – 9 ans pour fuir l’enfer » ;
– Vann Nath : « Dans l’enfer de Tuol Sleng : L’inquisition khmère rouge en mots et en tableaux » ;
– Khun Ken : « De la dictature des Khmers rouges à l’occupation vietnamienne » ;
– Alexandre Soljénitsyne (Une journée d’Ivan Denissovitch) ;
– Jacques Rossi (Qu’elle était belle cette utopie !) ;
– Jacques Rossi (Le manuel du Goulag) ;
– Evguénia S. Guinzbourg (Le vertige Tome 1 et Le ciel de la Kolyma Tome 2) ;
– Margarete Buber-Neumann (Déportée en Sibérie Tome 1 et Déportée à Ravensbrück Tome 2) ;
– Iouri Tchirkov (C’était ainsi… Un adolescent au Goulag) ;
– Boris Chiriaev (La veilleuse des Solovki) ;
– Malay Phcar (Une enfance en enfer : Cambodge, 17 avril 1975 – 8 mars 1980) ;
– Sergueï Melgounov (La Terreur rouge en Russie : 1918 – 1924) ;
– Zinaïda Hippius (Journal sous la Terreur) ;
– Jean Pasqualini (Prisonnier de Mao) ;
– Kang Chol-Hwan (Les aquariums de Pyongyang : dix ans au Goulag Nord-Coréen) ;
– Aron Gabor (Le cri de la Taïga) ;
– Varlam Chalamov (Récits de la Kolyma) ;
– Lev Razgon (La vie sans lendemains) ;
– Pin Yathay (Tu vivras, mon fils) ;
– Ante Ciliga (Dix ans au pays du mensonge déconcertant) ;
– Gustaw Herling (Un monde à part) ;
– David Rousset (L’Univers concentrationnaire) ;
– Joseph Czapski (Souvenirs de Starobielsk) ;
– Barbara Skarga (Une absurde cruauté) ;
– Claire Ly (Revenue de l’enfer) ;
– Primo Levi (Si c’est un homme) ;
– Primo Levi (Les naufragés et les rescapés : quarante ans après Auschwitz) ;
– Harry Wu (LAOGAI, le goulag chinois) ;
– Shlomo Venezia (Sonderkommando : Dans l’enfer des chambres à gaz) ;
– Anastassia Lyssyvets (Raconte la vie heureuse… : Souvenirs d’une survivante de la Grande Famine en Ukraine) ;
– François Ponchaud (Cambodge année zéro) ;
– Sozerko Malsagov et Nikolaï Kisselev-Gromov (Aux origines du Goulag, récits des îles solovki : L’île de l’enfer, suivi de : Les camps de la mort en URSS) ;
– François Bizot (Le Portail) ;
– François Bizot : « Le silence du bourreau » ;
– Nien Cheng (Vie et mort à Shanghai) ;
– Marine Buissonnière et Sophie Delaunay (Je regrette d’être né là-bas : Corée du Nord : l’enfer et l’exil) ;
– Juliette Morillot et Dorian Malovic (Evadés de Corée du Nord : Témoignages) ;
– Barbara Demick (Vies ordinaires en Corée du Nord) ;
– Vladimir Zazoubrine (Le Tchékiste. Récit sur Elle et toujours sur Elle).