Un amour insensé
de Junichirô Tanizaki

critiqué par Duncan, le 1 août 2004
(Liège - 42 ans)


La note:  étoiles
Chronique d'une déchéance...
Comme dans le "Journal d'un vieux fou", Tanizaki nous présente ici un roman sous la forme d'une confession: celle de Jôji Kawai, ingénieur de 32 ans décrit assez sommairement comme un "type bien au physique assez banal".

Tout bascule dans sa vie "métro-boulot-dodo" quand il rencontre Naomi, serveuse de 15 ans, aux traits "très occidentaux, presqu'eurasiens". Jôji, prend donc la jeune fille sous son aile pour en faire "une femme distinguée" qu'il pourra ensuite épouser.

Mais très rapidement, le rapport de force s'inverse: la jeune fille prend l'ascendant sur Jôji et l'entraîne dans un tourbillon dont il ne se relèvera pas: il y perdra sa fierté, sa dignité et son travail (ainsi qu'un bon paquet de yens).

Folles dépenses, amants (et même des gaijin !), "occidentalisation", Naomi n'épargne rien au héros qui n'est bientôt plus qu'un pantin entre les mains de la (ravissante faut-il le préciser) jeune fille. Complètement soumis, il pardonnera tout à celle qu'il vénère.

Bien plus qu'une histoire "d'amour", ce livre illustre un thème cher à Tanizaki: l'occidentalisation du Japon, la disparition de la "tradition" et le choc entre ces deux cultures réputées incompatibles. Tout ceci étant parfaitement illustré par le rapport ambigu qu'entretient le héros du livre par rapport à l'occident: il maudit Naomi pour son comportement et son refus d'agir comme une "bonne épouse" mais il est en même temps fasciné par sa beauté "eurasienne" ou sa ressemblance avec une actrice américaine.

Bref, un excellent roman à mon avis, très représentatif du Japon en perte de repères après la "défaite".
Vices de l'occidentalisation 7 étoiles

J'ai trouvé la préface synthétique tout à fait intéressante. Elle expose bien le thème récurrent du livre : comment les japonais se sont soumis avec dévotion et frénésie à l'occidentalisation.
C'est le personnage de Naomi qui en sera l'expression, si l'on peut dire, la plus "parfaite". Son attirance pour les tenues, le mode de vie, les accessoires, les habitats, les bonnes manières occidentales la transforme vite d'une jeune adolescente simple en jeune fille arrogante, mesquine, qui vous fera grincer des dents.
Mais Jôji aura aussi sa part de responsabilité (il l'avoue lui-même) dans cette évolution. L'écrivain arrive à nous faire ressentir des émotions très différentes concernant chacun de ces personnages : l'apitoiement, la désillusion pour Jôji, l'exaspération, la haine pour Naomi.
Ces confidences nous sont adressées directement à nous par Jôji, ce trentenaire perdu lui aussi attiré par les charmes des tendances occidentales.

Un roman tout de même assez lisse et peut-être un peu trop caricatural. Est-ce une provocation ?

Elya - Savoie - 34 ans - 15 juillet 2010