Risibles amours
de Milan Kundera

critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 1 août 2004
(Liernu - 56 ans)


La note:  étoiles
Fourche
Sept nouvelles s’enchaînent dans ce recueil, chacune basculant à partir de ce petit quelque chose, ce petit rien du tout, cette minuscule phrase qui va provoquer la bifurcation d’une des lignes de vie. A tel point que dans chaque récit, on peut identifier clairement le moment précis à partir duquel les événements échappent aux protagonistes, lorsqu’ils ne peuvent plus que réagir.

Ma préférence, comme il y a quinze ans lors de ma première lecture de cet ouvrage, va au « Jeu de l’auto-stop », ou comment perdre son identité aux yeux de l’autre alors que l’intention était seulement, pendant un laps de temps défini, de prétendre être un autre que soi, pour plaire à l’autre. Une jeune fille, extrêmement pudique, la pureté même, et son compagnon sont en route pour leurs premières vacances ensemble. A l’occasion d’un arrêt à une station service, la jeune fille, par jeu, fait le geste de l’auto-stoppeuse. Après avoir redémarré, son ami s’arrête et tous deux, faisant semblant de ne pas se connaître, plongent alors dans un rôle innocent au départ, mais qui va rapidement déraper. Croyant que c’est une caractéristique qu’il apprécie chez les autres femmes, elle adopte un ton provocant et lui, décontenancé, répond par d’autres insinuations graveleuses. Résultat : la pureté qu’il aimait en elle est salie, barbouillée et elle imagine le voir tel qu’il est avec d’autres femmes…

La dernière nouvelle me semble aussi intéressante : un jeune homme, pour plaire à sa petite amie, simule la foi en Dieu. Mais lorsque cela arrive aux oreilles de ses supérieurs (il est instituteur), ils le lui reprochent sévèrement. Dilemme : vaut-il mieux être fidèle à un mensonge et risquer de perdre son emploi ou dire la vérité et perdre sa petite amie ?… La solution (qui n’en est pas une) imaginée par le jeune homme : louvoyer entre les deux positions !

Le style est direct et le texte, comme toujours avec Kundera, ne se limite pas à la narration, mais il en profite pour distiller certaines de ses théories qui valent le détour, par exemple au sujet de la folie. En outre, ce livre est une porte d’entrée facile dans l’œuvre de Kundera.
Excellent 10 étoiles

J'ai trouvé chacune de ces nouvelles excellente et l'ensemble offre de multiples résonances.

Oui, Kundera désacralise avec humour l'amour idéal, fidèle en cela à sa volonté d'être libre et indépendant c'est à dire en dehors de tout schéma de pensée imposé par la société.

Mais ce n'est pas pour autant qu'il ne croit pas à l'amour et à l'amitié.

Ces nouvelles dans leur variétés annoncent la richesse de l'oeuvre future (Par exemple, 2 nouvelles approchent certains thèmes de "La Plaisanterie").

Une excellente introduction à l'oeuvre de Maître Kundera !

JEANLEBLEU - Orange - 56 ans - 16 octobre 2013


7 nouvelles 7 étoiles

Amis de l’introspection, bonjour. Les fatigués de l’action pour l’action, des histoires racontées à cent à l’heure avec un rebondissement toutes les deux pages pourront se reposer avec Milan Kundera.
Avec Milan Kundera on est dans le développement inlassable de chaque action, de chaque pensée, du pourquoi notre héros va prendre telle option plutôt que telle autre, et ce que ça aurait pu engendrer s’il l’avait fait, et ce qui va se passer en fait, et du coup les répercussions sur tel personnage secondaire, et comment la situation en est du coup impactée ...
Dit ainsi ça peut paraître très ch… Il n’en est rien. D’abord parce que c’est parfaitement écrit, que la traduction est à la hauteur, et puis parce que c’est très juste. L’âme humaine est disséquée, à la manière dont un médecin légiste pourrait pratiquer, mettant en évidence l’origine des bleus, des plaies et des bosses.
Et des bleus, des plaies, des bosses, les personnages en sont normalement dotés, comme dans la vie réelle, ni plus ni moins. Pas d’histoires ou de situations sensationnelles, irréelles. Plutôt des petits riens qui font gripper une vie tout à coup, qui la fait sortir de ses rails. Et c’est là que le « légiste » Kundera entre en scène, analysant, disséquant, expliquant …
C’est en fait un peu plus qu’une simple juxtaposition de sept nouvelles, plutôt sept études sur des thèmes en rapport : relations homme/femme sous ses diverses formes, être/paraître, jeunesse/expérience. D’ailleurs deux de ces nouvelles sont directement liées ; « Colloque » et « Le docteur Havel vingt ans plus tard » puisqu’on retrouve effectivement vingt ans plus tard notre docteur Havel qui intervient dans le « Colloque » précédent. Ce « Vingt ans plus tard » n’est d’ailleurs pas la plus intéressante, le « Colloque » est plus parlant.
Le « Jeu de l’auto-stop » aussi, remarquable dans l’enchaînement inéluctable et dramatique auquel conduit un simple jeu de l’esprit à la base entre un homme et une femme que rien, à priori, ne condamne à se déchirer.
Foin d’illusions, pas de joker, chez Milan Kundera : la froide réalité des choses, de la vie qui ne fait pas de cadeaux, surtout à ceux qui ne veulent pas s’en donner la peine –ou qui n’en ont plus la force – comme dans la vraie vie, quoi …

Tistou - - 67 ans - 29 juillet 2008