Soit dit en passant: Autobiographie
de Woody Allen

critiqué par Poet75, le 9 juin 2020
(Paris - 67 ans)


La note:  étoiles
Plaidoyer pro domo
À propos de l’affaire Woody Allen, puisqu’il faut en parler en ces termes, l’acteur espagnol Javier Bardem, l’un de ceux qui ont eu assez de cran pour prendre la défense du cinéaste, avec, entre autres, Alec Baldwin et Scarlett Johansson, Javier Bardem donc a dénoncé un « lynchage en place publique ». Les mots sont forts mais semblent conformes à la réalité, c’est, en tout cas, mon opinion. Avec son autobiographie, qui a d’ailleurs failli ne pas trouver d’éditeur, tant le cinéaste est rejeté comme un paria, en particulier aux États-Unis, celui-ci livre sa version des faits, son autodéfense si l’on préfère. On pourra toujours dire qu’il ne s’agit que d’un plaidoyer pro domo, il n’en reste pas moins que les propos et les arguments paraissent non seulement sincères mais convaincants. On est en droit de déplorer le ton de certaines phrases qui laissent à penser qu’il s’agit là d’un règlement de compte, Mia Farrow étant, par exemple, définie comme une « cinglée ». Une lecture plus attentive de l’ouvrage apporte cependant des nuances aux quelques mots malheureux qu’emploie l’auteur. Ceux-ci s’expliquent d’ailleurs aisément par l’extrême violence des paroles énoncées à son encontre. Peut-on imaginer pires accusations que celles qui ont été émises au sujet de Woody Allen ? Être traité de violeur et de pédophile, y compris au sujet de sa propre fille adoptive Dylan ! Or, même si deux enquêtes ont totalement innocenté le cinéaste, on a beau faire et beau dire, comme l’écrit Woody Allen, « la calomnie rend vulnérable à jamais ». C’est comme une tache indélébile : quoi qu’on fasse, on reste marqué pour toujours. Avec Soon-Yi, sa compagne et sa femme depuis 25 ans, le cinéaste a lui-même été admis à adopter deux enfants : preuve évidente qu’on n’a pas affaire à un pédophile ! Il aurait fallu être fou ou inconscient pour confier deux enfants à un pervers sexuel ! On n’en continue pas moins, de manière déplorable, à vouloir clouer au pilori un homme empêtré dans une histoire de couple qui se déchire se muant en histoire de vengeance ! À ce sujet, qu’on le veuille ou non, certaines remarques du cinéaste paraissent fondées : ainsi à propos du mouvement #MeToo qu’on ne peut qu’applaudir dans la mesure où il a libéré la parole des femmes ayant été, d’une manière ou d’une autre, abusées, mais qui a aussi ouvert la porte et servi de caution aux allégations les plus radicales et les plus fanatiques. Or le fanatisme, quelle que soit la cause qu’il défend, il convient, à mon avis, de le rejeter avec fermeté. Il est louable de soutenir la cause féministe, je ne manque pas une occasion de le faire, mais quant à verser dans le fanatisme, non merci, je me garde de ça comme de la peste !
Arrivé à peu près au milieu de son autobiographie, Woody Allen se permet (comme il le fait assez fréquemment au cours du livre) une petite digression. Il prévient son lecteur qu’il va bientôt être question de son histoire avec Soon-Yi et des terribles accusations de son ex-compagne (et de l’actrice de plusieurs de ses films) Mia Farrow. Malignement, il ajoute : « j’espère que ce n’est pas la raison pour laquelle vous avez acheté ce livre » ! En effet, même si cette affaire (qui n’est devenue médiatique que parce qu’elle met en cause des personnalités du monde du cinéma) occupe une bonne partie de l’ouvrage, celui-ci n’est réellement intéressant que parce qu’il y est question aussi (et je dirais surtout) de l’enfance de Woody puis de son abondante filmographie. Au sujet de ses propres films, le réalisateur n'est d’ailleurs pas tendre, c’est le moins qu’on puisse dire. Il les considère comme à peu près tous ratés et se juge lui-même comme un cinéaste mineur. Il prétend ne rien comprendre à la technique, se contentant de parler de chacun des films du point de vue du scénario et du casting. Pour qui connaît les films en question, toutes ces notations n’en sont pas moins plaisantes et, parfois, passionnantes. Quant à son autocritique très négative, elle n’a rien de surprenant et l’on n’est évidemment pas tenu d’adhérer à ce même point de vue. Les grands artistes, beaucoup d’entre eux en tout cas, sont aussi de grands insatisfaits, jamais contents de ce qu’ils ont produit. Il n’y a pas là de quoi s’étonner. Quelles que soient les dénégations de Woody Allen, on est tout à fait en droit de le considérer comme un grand cinéaste. Et tout ce qu’il confie sur la fabrication de ses films, même si cela paraît parfois anecdotique, est loin d’être dénué d’intérêt.
Mais le meilleur de son autobiographie, c’est, à mon avis, dans les pages du début de l’ouvrage qu’on peut le trouver. Tout ce qu’il nous dit sur son enfance, son adolescence, sa prime jeunesse, c’est un régal pour qui aime Woody Allen et apprécie ses films. Celui-ci s’emploie à nous faire admettre que la réputation d’intellectuel qui lui a été souvent prêtée est totalement fallacieuse. Le jeune Woody était nul en classe et ses parents, nous dit-il, « ne virent jamais une pièce de théâtre, ne visitèrent jamais une galerie d’art, ne lurent jamais le moindre bouquin. » Quant à lui, il détestait l’école, y compris l’école hébraïque ! D’ailleurs, affirme-t-il, « je n’ai jamais cru qu’il y avait un Dieu », la foi juive n’étant, à ses yeux, qu’une « gigantesque arnaque ». Ce « vrai cancre » n’était pourtant pas totalement dépourvu de talents puisque, remarque-t-il, il écrivait plutôt bien. Et puis il se mit à se cultiver dès le moment où il s’intéressa aux filles, pour ne pas paraître trop nigaud à leurs yeux. Et il eut de la chance car, dès qu’il commença à écrire des gags, il eut du succès.
Il est, d’autre part, fort intéressant, de constater à quel point les expériences de l’enfance ont imprégnés les films de Woody Allen. Les heures passées à écouter la radio, et celles qu’il passait dans les musées pour se protéger du froid, sa découverte de Manhattan où, nous dit-il, il retournera le plus souvent possible, sa passion pour la prestidigitation et pour la magie, son engouement pour le jazz de La Nouvelle-Orléans, et bien sûr sa fascination pour le cinéma qu’il découvre grâce à sa cousine Rita. Tous ces éléments, puisés dans le trésor de l’enfance, nourrissent un grand nombre de films de Woody Allen. Pour percevoir un peu de ce que sont les grands créateurs et du secret de leur inspiration, bien souvent, il faut chercher du côté de l’enfance. Woody Allen ne fait pas exception. Lui, le petit juif inculte, comme il se décrit, n’en a pas moins engrangé, en quelque sorte, mille matières qui, transformées, ont donné lieu à quantité de films remarquables. Ne serait-ce qu’à cause de cela, l’autobiographie de Woody Allen mérite vraiment qu’on lui consacre du temps.