L'aiguille de minuit : carnets de l'alpiniste
de Patrick Kéchichian

critiqué par Sahkti, le 26 juillet 2004
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Aller au fond de soi
Après des années d’absence, un alpiniste que beaucoup croyaient disparu à jamais revient vers les siens, les poches remplies de carnets noircis d’une écriture dense. Des souvenirs de voyage ? Pas vraiment. Plutôt un témoignage à portée philosophique et spirituelle, l’héritage d’une errance et d’une quête de soi. L’auteur qui présente ces carnets reçus de son maître prévient d’emblée, il refuse d’utiliser la littérature pour tirer profit de la vie alors qu’elle devrait plutôt se mettre à son service pour l’honorer et la reconnaître comme grande dame devant l’Eternel.
Démarche intéressante qui éloigne les perspectives du classique récit de voyage et en ouvre d’autres, plus spirituelles et morales, des écrits témoignant de la croyance de l’homme qu’au sommet de chaque haute montagne se cache un dieu, quel qu’il soit, même celui de sa propre pensée. Ce dieu n’est pas forcément religieux, il peut être lumière, élévation, révélation, amour. Il apporte forcément quelque chose, bouleverse la vie et la perception du monde.
A travers les obstacles et les péripéties d’une ascension, le narrateur nous renvoie à l’essentiel, c’est à dire nous-mêmes, notre faculté de compréhension, d’adaptation, de changement, de remise en question. Ce n’est pas une mince affaire, cela demande du temps, du courage, pas mal de volonté mais aussi de la solitude, de l’abnégation et les conditions réunies pour se livrer à une telle entreprise.

Beau coup de cœur de ma part pour le parallèle constamment établi au fil des pages entre l’auteur et son livre, ce dernier étant l’aboutissement d’une quête, la démarche littéraire étant le sommet d’une ascension intellectuelle que mène, seul, l’écrivain. Une confrontation avec soi-même, avec sa vanité, son orgueil, son talent ou la misère de son esprit. Seul face à soi, pas de mensonge possible, on ne tient pas longtemps comme cela.
Et puis quel enthousiasme de Patrick Kéchéchian, cette révélation suprême, voire divine, arrivé au sommet. Comme si il avait trouvé son salut, comme si enfin il entrapercevait la vérité. Quelle vérité me direz-vous? La sienne, tout simplement. Celle qui permet d’accéder à une espèce de grâce naturelle qui emporte tout sur son passage. C’est un brin mystique, j’en conviens, un peu cérébral, mais tellement sincère et passionné ! C’est un livre à méditer, chacun interprétera les mots comme bon lui semble, y collera son parcours personnel, y trouvera des réponses… ou non. Une lecture qui ne peut laisser indifférent et oblige à regarder en soi et au-delà. A s’oublier un peu pour s’aimer et aussi à s’approfondir avec patience pour se découvrir un peu, beaucoup, passionnément…