Pourquoi je lis "La famille royale"de William T. Vollmann
de Frédéric Jaccaud

critiqué par Débézed, le 2 avril 2020
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Un paysage de mots comme un tableau
8/ Pourquoi je lis La Famille royale de William T Vollmann

Pour ma deuxième lecture d’un essai de cette belle collection qui rassemble les avis d’auteurs à propos de leur lecture préférée, j’ai découvert cet écrivain suisse grand admirateur du livre fleuve de William T. Vollmann : La Famille royale. Comme j’aurais voulu lire ce texte avant de me lancer dans la lecture de Treize récits & treize épitaphes du même Vollmann ou de Le Festin nu de William Burroughs et même de Dedalus de Joyce et quelques autres livres encore qui m’ont demandé beaucoup d’efforts et de concentration pour ne pas complètement sombrer dans ma lecture.

La Famille royale est avant tout un énorme pavé dont le nombre de pages varie en fonction des éditions, certaines éliminant des passages pouvant paraître trop confus. Les commentateurs le présentent souvent comme un roman, paru en 2000, qui décrit la lente immersion d'Henry Tyler, un détective privé, à la recherche de la « Reine des Putes » - dans le quartier populaire à fort taux de criminalité de Tenderloin à San Francisco. Mais Jaccaud ne s’attache pas à cette histoire, il s’intéresse au processus littéraire de Vollmann à sa façon d’écrire, de noyer le lecteur sous une masse de mots. Pour lui, « La Famille royale ne raconte pas une histoire … Elle propose quelque chose relevant de la masse écrite, un récit que l’on identifie plus ou moins au genre romanesque, qui s’écarte de toute volonté de clarté aussitôt que le texte débute, brouillant les pistes à mesure que celles-ci se divulguent ».

Frédéric Jaccaud s’intéresse davantage à la construction, à la confusion, du roman qui n’en est pas un, qui n’est qu’un amas de mots évoquant la liquéfaction de la société de la fin du XX° siècle. C’est aussi une volonté de chambouler, de mettre en cause, la littérature et peut-être, mais ça il ne le dit pas, de transporter dans la littérature les effets des psychotropes largement consommés dans un certain milieu littéraire où l’on pouvait rencontrer Kerouac, Burroughs, Ginsberg, Selby Jr et toute la bande de la Beat Generation que Vollmann a connu. « La Famille royale ne se fonde sur aucune intrigue, elle intrigue sur l’humain par son fait littéraire ».

Frédéric Jaccaud fait une analyse très fine, pénètre à cœur, le texte de Vollmann pour en débusquer les intentions, les prescriptions, il le lit, le relit, pour comprendre le portrait de la société que l’auteur cherche à montrer. Une fresque sociale qu’il compare à Les Menimes le fameux tableau de Velazquez, une mise en mots de cette célèbre toile.

La Famille royale fait partie de ces livres qu’on a presque tous mille bonnes raison pour ne pas les lire et justement c’est pour ces milles bonnes raison que Frédéric Jaccaud nous conseille de le lire même s’il en reconnaît tout ce qui peut rebuter le lecteur. « On se perd dans un paysage de mots, redoutant la densité d’un agrégat précaire … portant en lui-même les cicatrices qu’il met à jour … affichant, strate après strate, les apories du signe et les faiblesses stylistiques d’un projet littéraire vair ».

Mais il conclut son analyse par cette recommandation : « Il faut lire Vollmann pour toutes les raisons qui incitent à ne pas le lire ». Alors, profitez d’un long confinement pour plonger dans cette longue et ardue lecture !