L'impromptu d'Outremont
de Michel Tremblay

critiqué par Fanou03, le 21 mars 2020
(* - 48 ans)


La note:  étoiles
Les quatre soeurs Beaugrand
Quatre sœurs dans la quarantaine, Fernande, Lorraine, Yvette et Lucille Beaugrand, se retrouvent dans l’appartement familial de la banlieue bourgeoise de Montréal, dans le quartier d’Outremont, pour fêter l’anniversaire de Lucille. Mais bien vite la rencontre se transforme en règlement de comptes au fur et à mesure que les rancœurs, les rancunes et le passé de l’histoire familiale remontent à la surface.

C’est d’abord l’histoire d’une fratrie, dans laquelle, comme dans beaucoup de fratries du Monde, à la fois on s’aime et on se déteste. Les quatre sœurs de ce côté-là sont tout à fait exemplaires : si l’on retient surtout toutes les vannes et les méchancetés qu’elles vont s’envoyer à la figure, nourries par leur histoire familiale (une mère dominatrice leur a singulièrement gâté leur enfance) et à la réussite de leurs vies respectives, on voit aussi en filigrane l’attachement que ces quatre-là se portent mutuellement. Ce huis-clos étouffant et tendu est de ce point de vue une étude psychologique certes courtes mais pleine de justesse et de nuance que nous offre là Michel Tremblay.

Les sœurs ont grandi dans la vieille bourgeoisie montréalaise. De cette gloire passée, il ne reste plus grand-chose, mis à part la demeure familiale où vivent recluses Lucille et Yvette en vieilles filles vaguement aigries et baignées de regret. L’auteur fait un portrait sévère et caustique de cette classe bourgeoise décatie et décadente, dont la seule voie semble de « s’abâtardir » avec les nouveaux entrepreneurs venus de l’immigration, à l’image de Lorraine qui a épousé l’italien Guido Ferzetti.

En plus de cette dimension sociologique, un dernier aspect émerge dans L’Impromptu d’Outremont: c’est celui lié à la question de l’expression artistique. La terrible mère des sœurs Beaugrand avait en effet poussé chacune d’elles dans une discipline (musique, danse, écriture, chant) mais dans un cadre formaté, mondain, qui a littéralement « tué » la spontanéité des enfants qu’elles étaient. N’enfermons pas l’Art ni la Culture, semble avertir Michel Tremblay, qui dresse le portrait terrible de ces quatres sœurs qui semblent personnifier chacune une Muse dont l’Art, à l’image de leur vie, a été vidé de sa substance.