Paul : Paul à la maison
de Michel Rabagliati

critiqué par Blue Boy, le 23 février 2020
(Saint-Denis - - ans)


La note:  étoiles
Invasions barbares
Si vous ne connaissez pas encore cet auteur québécois, je vous invite vivement à vous y intéresser de plus près. Véritable star dans son pays, il a en France son petit cercle de fans depuis un bon moment. Depuis sa première BD publiée par l’éditeur montréalais La Pastèque en 1998, Michel Rabagliati a engrangé les récompenses, notamment au Festival d’Angoulême en 2010 avec le prix du public pour « Paul à Québec ». Il faut préciser que les dix albums sont consacrés à Paul (Rifiorati de son nom), à la fois son personnage fétiche et double de lui-même.

A travers son œuvre, l’auteur a développé un univers très personnel et extrêmement attachant, dans lequel il évoque régulièrement ses souvenirs de jeunesse, principalement son enfance et son adolescence. On se régale de ces anecdotes narrées avec un humour à la fois grinçant, subtil et souvent jubilatoire. Puis, les années passant, Paul Rifiorati est devenu, presque sans que l’on s’en aperçoive, un quinqua moins insouciant avec des problèmes de quinqua. Et c’est ce qui fait le sujet de son dernier opus, « Paul à la maison », qui se déroule en 2012 et où il aborde la question de cette fameuse crise de la cinquantaine avec son lot de petits bobos, de tracas existentiels et du quotidien, mais également la vieillesse et le cancer incurable de sa mère. Dit comme ça, ça ne vend pas du rêve, mais ceux qui connaissent le travail de Michel Rabagliati savent qu’il a plus d’un tour dans son carton à dessin. Et c’est bien là que réside une partie de son talent : cette capacité à traiter avec sensibilité de sujets plus ou moins graves sans plomber l’ambiance, bien au contraire. On notera le passage extrêmement hilarant où Paul, vivant mal un célibat forcé après la séparation d’avec sa femme, s’inscrit sur un site de rencontres, ou encore celui où il teste un appareil pour traiter son apnée du sommeil…

En traitant parallèlement de tous les petits faits du quotidien vécus par son double, dans son quartier de Montréal, l’auteur sait se faire le témoin acerbe de notre société contemporaine, déplorant sa transformation en une sorte de « meilleur des mondes ». Il pointe du doigt l’atomisation et l’isolement croissants de chacun, les plus jeunes repliés sur leurs écrans et les anciens remisés dans les CHSLD (l’équivalent de nos fameux EHPAD français), une vision peu réjouissante et pourtant lucide, masqué par le discours dominant et une bonne couche de vernis publicitaire.

Et comme toujours, on adore cette ligne claire et ce sens du détail, tous ces objets anodins qui en disent autant sur notre époque qu’une longue étude sociologique, tout ce qui fait le charme et l’intérêt du travail de Rabagliati. Observateur fin et désabusé par le manque d’humanité du monde moderne, celui-ci parvient à insuffler à son récit une certaine poésie pour en réduire la pesanteur, de façon très touchante. On se souviendra de l’hommage pudique rendu à sa mère, un des moments les plus bouleversants du livre.

« Paul à la maison », c’est tout cela. Des rires et des sourires, de la mélancolie et de l’émotion, pour décrire un quotidien assez ordinaire, pas vraiment rose mais pas déprimant non plus. En ce sens, Rabagliati vise très juste et parle un langage universel qui fait que chacun se reconnaîtra. Le monde est véritablement devenu un village global, avec les mêmes problématiques partout, et ce Québec si lointain nous apparaît d’un seul coup extrêmement proche.