Un roman passionnant mais porteur d’un message ambigu. Dommage, car il s’agit d’une belle ode à la nature, doublée d’une merveilleuse histoire d’amour entre deux femmes liées par un même désir de fuir une civilisation broyant l’individu, qu’il soit humain ou animal. Raphaëlle Robicheaud, la narratrice, a quitté sa compagne pour vivre en pleine nature dans une roulotte, au sein de cette région du Kamouraska tant vantée par Anne Hébert. Elle est garde-chasse, ou plutôt, selon la terminologie en cours, agente de protection de la faune. Un euphémisme lorsqu’on sait que la trappe, véritable sport national au Canada, consiste à piéger, en toute légalité, des animaux sauvages, pour les écorcher et vendre ou collectionner leur fourrure immaculée. De professionnelle à l’origine, cette activité est devenue le loisir préféré de maints canadiens, persuadés qu’ils communient ainsi avec la nature et, pire encore, croient assurer son équilibre. Mais le temps où Davy Crockett était un héros national est révolu, et la trappe est devenue un fléau pour de nombreuses espèces telles que le lynx ou le caribou, sans compter les majestueux ours et orignaux (élans). Sur ce plan l’auteure reste muette, considérant le piégeage comme une activité saine et profitable à la nature lorsqu’il est effectué raisonnablement (sic !). Elle va cependant avoir affaire à un individu peu recommandable, grand piégeur devant l’Éternel, qui n’hésite pas à enfreindre les quelques restrictions qui existent dans la législation québecoise, protégé par sa famille et ses amis haut placés, pour effectuer une véritable carnage. Et lorsqu’elle s’aperçoit qu’il la filme en caméra cachée lorsqu’elle fait sa toilette et force sa porte en son absence, lorsqu’elle se penche aussi sur le cas de cette jeune femme portée disparue et dont le corps n’a jamais été retrouvé, elle prend alors une grave, très grave décision. La dernière partie du roman laisse un goût amer malgré la beauté de l’écriture et des paysages qu’elle décrit, les sensations au contact de la nature et des êtres aimés, et il faut un certain courage pour aller jusqu’au bout et braver sa répulsion. Mais qu’a donc voulu suggérer l’auteure comme solution finale au problème des prédateurs sexuels ? Décidément, j’aurai toujours autant de mal avec certaines mentalités nord-américaines…
Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 12 avril 2022 |