Les contes de la Pieuvre tome 2 : Un destin de trouveur
de Gess

critiqué par Shelton, le 22 janvier 2020
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Excellent, tout simplement !!!
Gess est un dessinateur de bandes dessinées que je ne connais pas personnellement mais que j’ai déjà lu plusieurs fois : j’avais adoré la série L’œil de la nuit (scénario de Serge Lehman) et un tome de la série le Jour J, Vive l’Empereur. Je n’ai pas eu la chance de lire le premier volume de ces Contes de la Pieuvre (La malédiction de Gustave Babel) mais après avoir lu ce tome 2, je vais m’empresser de revenir au tome 1. Avantage, on peut sans problème lire les deux volumes dans l’ordre que l’on veut…

Ce deuxième volume des Contes de la Pieuvre, Un destin de trouveur, est une histoire fantastique que j’ai adorée et qui est si bien construite que le lecteur est littéralement scotché à son album jusqu’à la fin de la lecture… Gess est seul aux commandes de cette série et il démontre qu’il est bien à la fois scénariste, dessinateur, coloriste et même excellent coordinateur de cette équipe…

L’histoire est à la fois simple – un récit que l’on peut qualifier de policier sans hésitation – et fantastique car certains personnages sont dotés de pouvoirs, de talents, de forces particulières… Par exemple, le trouveur se met au-dessus d’une carte, d’un plan, d’une maquette urbaine, il jette un caillou et la petite pierre vient se positionner là où se situe ce qu’il cherche. Très pratique d’ailleurs et je devrais utiliser une telle méthode pour retrouver tout ce que je perds dans mon bureau…

Ce trouveur est dans la police mais tous ses collègues ne partagent pas le bonheur de travailler avec lui, il en est même qui l’élimineraient sans aucun scrupule… La jalousie, quoi…

J’ai beaucoup aimé cette histoire, certes un peu surprenante au départ mais qui tient la route avec logique quand on a accepté les postulats liés aux talents. J’ai adoré la narration graphique, les retours en arrière très bien construits qui apportent énormément au rythme de l’histoire. Enfin, j’ai une petite sympathie particulière pour certains personnages, de préférence les plus barrés… Je pense entre autres aux Sœurs Ubiquité…

Parmi les personnages, une mention particulière, bien sûr, pour la Bête. En fait, vous n’allez pas la manquer puisque l’auteur la traite à part pour ce qui est de son destin, avec une histoire courte après Le destin de Trouveur… mais je ne vous en dis pas plus sur cette incroyable Bête !

En fait, cette bande dessinée m’a enchanté et je ne peux que vous conseiller de l’ouvrir, très discrètement, chez votre libraire… Juste pour voir… Au cas où… Attention de ne quand même pas libérer la Bête… Allez savoir !

Bon, en attendant, dans quelques jours, ce sera la rencontre avec Gess, justement ! Un beau moment à vivre durant ce prochain festival de la bande dessinée d’Angoulême !!!
Des caillous contre les marlous 8 étoiles

Après « La Malédiction de Gustave Babel », Gess récidive avec ce nouveau récit des Contes de la pieuvre, qui se lit de façon totalement indépendante du premier opus. La lecture de cet album peut laisser une impression pour le moins étrange, difficile à décrire, entre admiration pour le travail impressionnant fourni par cet auteur à double casquette, dessinateur de son propre scénario, et indigestion, et ce exactement pour les mêmes raisons. Cette plongée dans les bas fonds d’un Paris de la fin du XIXe siècle impressionne en effet par l’érudition de Gess, qui émaille le livre de citations de Jean-Jacques Rousseau et glisse des références plus ou moins explicites à la pensée libertaire, à travers les Sœurs de l’ubiquité, un groupe de femmes dont le héros Emile Farges a épousé l’une d’entre elles. Celles-ci utilisent leurs pouvoirs surnaturels pour lutter contre un patriarcat que peu cherchaient à remettre en cause à cette époque. Des féministes très virulentes avant l’heure !

Que pourrait-on donc reprocher à cette œuvre imposante — plus de 200 pages tout de même ? Le scénario est assez touffu, mais sans temps morts, et Gess réussit à ne pas nous faire lâcher le livre. De même, les personnages sont très nombreux, trop peut-être, si bien que parfois on a un peu de mal les identifier, même si l’on finit tout de même par faire les recoupements. Les textes quant à eux sont assez denses et les phylactères abondent, provoquant quelques saccades dans un rythme de lecture déjà frénétique à la base. En résumé, la lecture s’avère quelque peu ardue, et à ce titre, on aurait apprécié un plus grand contrôle de la narration. Côté dessin, rien à dire, le trait nerveux et réaliste de Gess est toujours plaisant dans son souci du détail et extrêmement vivant de par ses perspectives et cadrages variés.

Incontestablement, Gess est un auteur digne d’intérêt et à suivre dans ses velléités scénaristiques. « Un destin de trouveur » possède plusieurs atouts, le moindre n’étant pas sa capacité à fasciner le lecteur. L’entrée en jeu du genre fantastique n’y est certainement pas étrangère. On ne dessine pas pour Serge Lehman pendant si longtemps sans en garder des traces... Il ne reste plus qu’à Gess d’alléger un peu sa structure narrative pour le prochain volume de son projet, si tant est qu’il ait vocation à être tentaculaire… Si celui-ci a des petits cailloux dans ses poches et qu’Emile Farges — Far-Gess ? — se révèle être son double, il devrait finir par trouver la formule parfaite…

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 8 avril 2020