Poésies complètes 1912-1924 : Du monde entier. Dix-neuf poèmes élastiques. La guerre au Luxembourg. Sonnets dénaturés. Poèmes nègres. Documentaires
de Blaise Cendrars

critiqué par Tistou, le 10 janvier 2020
( - 67 ans)


La note:  étoiles
Avec une belle préface de Paul Morand
Oui, une très belle préface de Paul Morand, éclairante sur le Paris des années 20, comparaison avec le Londres de la même époque, et la trajectoire du jeune Blaise Cendrars dans ce Paris là. Extrait :

»Picasso et Cendrars, tous deux sont partis du « Lapin agile » et du « Bateau lavoir » pour un rêve interplanétaire. Chez l’un et chez l’autre il existe des périodes où la perspective est désavouée, où les cornes du taureau sont un guidon du vélo ; même gaieté sinistre, même ironie féroce, même amour pour les infirmités humaines, pour les raretés du difforme, pour la diversité des misères, celles des mendiants, les saltimbanques, mêmes sarcasmes pour les mauvais riches ou les diamantaires itinérants. Cendrars, un reporter, mais un reporter de Dieu ; un aventurier spirituel ; l’homme aux vingt-sept domiciles et à l’œuvre frénétique qui est notre « Cymbalum mundi ». Cendrars, sorte de Tolstoï du transsibérien, ce huitième Oncle, a tout chanté. »

Y figure donc la première œuvre de Blaise Cendrars : »Les Pâques à New York », très long poème mi –rimé mi - prose pour lequel il prendra pour la première fois le pseudo de Blaise Cendrars. La date de fin figure à l’issue du poème ; « New York, avril 1912 ».
Puis suit ce qui est certainement l’œuvre poétique la plus célèbre de Blaise Cendrars, très long poème en prose : »Prose du transsibérien et de la petite Jeanne de France ». Paris, 1913.
Et là prend toute la mesure d’une des réflexions de Paul Morand ; Cendrars, reporter de Dieu. De Dieu ? Ca je ne sais pas, mais reporter poète, oui sûrement.
La période est mauvaise à Moscou lorsqu’il s’y trouve et il n’a d’envie que de quitter la ville pour la Sibérie :

»J’étais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes
Et je n’avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux
En Sibérie tonnait le canon, c’était la guerre
La faim le froid la peste le choléra
Et les eaux limoneuses de l’Amour charriaient des millions de charognes
Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains
Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets
Et les soldats qui s’en allaient auraient bien voulu rester …
Un vieux moine me chantait la légende de Novgorode. »



Quand je dis très long poème en prose, c’est qu’il s’agit de 19 pages, tout de même !
Suit »Le Panama ou les aventures de mes sept oncles ». Ces sept oncles auxquels Paul Morand fait allusion en baptisant Tolstoï de huitième oncle …
S’ensuit »Dix-neuf poèmes élastiques », écrits entre 1913 et 1919, beaucoup plus courts et dont la forme fait irrésistiblement penser à Apollinaire. Puis »Laguerre au Luxembourg », »Sonnets dénaturés », »Poèmes nègres » et »Documentaires » parus sous le titre de »Kodak », ceux-ci étant écrits « En voyage, 1887 – 1923 ».
De fait, de retour du Brésil, en 1924, son écriture va se consacrer alors aux romans, reportages, nouvelles, biographies …
L’œuvre poétique n’est pas forcément ce qui vient spontanément à l’esprit quand on évoque Blaise Cendrars, et pourtant »Prose du transsibérien et de la petite Jeanne de France » pour sa puissance, ou »Dix-neuf poèmes élastiques », pour l’innovation de leurs formes, en font un poète majeur du XXème siècle. Un aventurier poète. Ou l’inverse ?